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Par fulgur29 le 4 Février 2016 à 13:30
Josip PINTARIC: "Chevaux dans la neige" Huile sur toile de 1972
Vous vous souvenez de Tomislav Petranovic, celui qui avait peint la déesse des marais? Eh bien, Josip Pintaric, son aîné de 7 ans (né en 1927 à Mala), est son voisin à Nova Gradiska (130 km au Sud-Est de Zagreb). Menuisier et sculpteur, il se définit comme un peintre sur toile amateur, joueur de violon à ses heures (comme son père). Fûté, il a commencé à peindre pour les jeunes fiancées: il prétend qu'une coutume locale voulait que les futures épouses offrent une peinture de saint ou de personnage à leur fiancé. Il raconte qu'il n'a vu qu'une fois Ivan Generalic et son fils, et que c'est Virius (tué pendant la guerre) qu'il préfère: "Sa peinture est pure et vient du coeur. Il n'y a rien de sournois dans son oeuvre". Au début des années '70, Josip se met à peindre à plein temps, et parvient au sommet de son art (auparavant, il avait passé 8 ans sans vendre un seul tableau).
Josip PINTARIC: "Au printemps" - Huile sur toile de 1972 (500x650mm)
Il admet que les gens de son village ne s'intéressent pas à ce qu'il fait: "Parfois, ils ne me disent même pas bonjour quand je les rencontre et certains déclarent que je ne suis pas tout à fait normal, vu ce à quoi je m'occupe. Mais maintenant qu'il rentre un peu d'argent, ils sont un peu jaloux".
Josip PINTARIC: "Le vieil homme et le maïs" (1971) Huile sur toile
Souvent, il parle de son père, pauvre charpentier qui aimait chanter, de ses 9 frères et soeurs. "Si je ne jouais pas de musique, je serais incapable de peindre", dit Josip "Puco".
Josip PINTARIC: "Forêt", huile sur toile de 1975 (800x1000mm)
Ci-dessus, on ne voit pas le ciel au-dessus des arbres, mais les rayons du soleil paraissent traverser les branches. La terre semble illuminée. Josip "Puco", comme Tomislav Petranovic, est marqué par les légendes des marais de la Save: "D'étranges oiseaux et des animaux insolites peuplent les marais. Pendant l'été, les paysans et leur bétail se baignent avec eux. Petit, on me racontait des histoires terrifiantes sur les gens qui avaient disparu dans les marais en hiver. Quand on écoutait attentivement les hurlements du vent, on entendait leur voix qui appelait à l'aide. Il y a aussi la légende de cette jeune fille enlevée par son fiancé, qui se serait réfugiée avec lui dans les marais et y vivrait encore parmi les marcassins sauvages..." . Brrrr!
Cébizar Lémek (cebizarlemek.eklablog.com)
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Par fulgur29 le 24 Janvier 2016 à 22:40
Petar TOPLJAK: "Amoureux" 1972 Huile sur toile (galerie de Svetozarevo)
On s'est dit: et sur le thème de l'amour, qu'est-ce que proposent nos fameux naïfs, qui s'épanchent sur les semailles et les moissons, pleurent sur les sécheresses et les inondations? Il y a bien quelques uns qui nous peignent les débordements lors des fêtes paysannes. Mais qu'en est-il de l'amour courtois du Moyen-Age, de l'amour bucolique, romantique, éclatant ou poétique?
He bien, vous ne trouverez pratiquement rien: l'amour se trouve dans le mariage, c'est très paysan (dans tous les pays, oui, oui), mais Petar TOPLJAK , né en 1948 à Djurdjevac, Podravina (where else?) a peint un tableau emblématique.
Il va nous raconter qu'il n'a passé que 5 ans à l'école (histoire connue dans ce blog). En plus, en 1964, il va trouver Ivan Generalic pour apprendre la peinture sur verre et toile. C'est un fermier-vigneron. Il ne nous apprendra pas grand'chose, sinon une coutume croate : " Avant le mariage, nous allions tous chez la future mariée pour demander sa main. Le fiancé, lui, portait sous le bras un petit cochon de lait, et sa mère se chargeait d'un panier contenant du lait suri et de la crême douce, et son père arrivait avec un tonneau et..."
Ivan Generalic a maints talents mais ne représente pas à notre connaissance les émois adolescents. Mais Petar, sur ce sujet, est capable de toucher les étoiles, comme avec cette peinture des amoureux dans l'hiver serein. Il emprunte un thème peu usité, alors que les mariages sont communément représentés, mais moins touchants.
Matija SKURJENI : "Amours de gitans" - huile sur toile de 1966
Attention! Ici on n'est pas du tout dans la Podravina. D'ailleurs, Matija SKURJENI ( né en 1898 à Veternica, près de Zlatar, et qui vécut ensuite près de Zagreb) est clair: "Je vois ces gens de la vallée de la Drave. Je vois leur école et je ne voudrais pas peindre comme ils font, comme l'école de Hlébine. Je préfère agir à ma guise."
Matija est né au XIXème siècle (!), déjà on est scotché. Ensuite il a une enfance très dure (on n'entre pas dans les détails, après la mort de son père bûcheron). Il paraît avoir une approche plus intellectuelle de la peinture que nos peintres-paysans (lui a travaillé aux chemins de fer). Et, en, 1966, il peint ces "Amours de gitans". Et nous, on fond.
Cébizar Lémek (cebizarlek.eklablog.com)
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Par fulgur29 le 20 Janvier 2016 à 21:35
Ivan Generalic: "Tziganes" ("Zigeuner / Gipsies") - Carte postale allemande
Ivan Generalic, dans ce blog on l'appelle "le boss". Il fait partie des trois mousquetaires de Hlebine (cf Chapitre 3 du blog) qui ont lancé en 1931 l'art naïf yougoslave. Par la diversité de ses thèmes et la maîtrise des plans, par le choix de sujets étonnants (non représentés ici, ce sera pour une autre fois: "Mona Lisa de Hlebine", "Le taureau qui louche"...) qui le font se hisser au-dessus des sujets classiques, Ivan Generalic s'est imposé comme le chef de file de nos chers naïfs. Ci-dessus, les Tziganes, un thème souvent représenté, tant cette communauté se fond dans le paysage de l'Europe Centrale et comme toujours intrigue. La femme donne le sein. Que tient dans sa main l'enfant nu? Un canard passe à la broche, la campagne en arrière-plan est superbe.
Ivan Generalic: "Le cheval-licorne" - Huile sur verre de 1961 (76 x 145 cm). Propriété de l'artiste dans les années 70. Carte postale belge de 1982
Ci-dessus, un classique d'Ivan: le cheval-licorne est une bête légendaire de la Podravina. Il apparaîtrait dans les clairières. Le veinard qui rencontre l'animal verrait ses voeux s'exaucer et deviendrait riche! Comme dans les contes, celui qui néglige ce présage verra le malheur fondre sur lui. "C'est ainsi que des jeunes filles ont épousé le garçon dont elles rêvaient, des malades ont guéri, des vieillards retrouvé leur jeunesse". Allégorie magique déjà en vogue au Moyen-Age.
Ivan Generalic: 1973 (titre non trouvé, alors on va dire "Balade hivernale"). Carte postale belge de 1982
Ivan dit: "A vrai dire, je n'ai pas été très bien reçu comme peintre dans mon propre village. Les gens se moquaient de moi parce qu'au début je ne savais pas comment faire pour bien peindre les gens. Leur tête leur donnaient en quelque sorte l'air d'imbéciles. Ils avaient des mains énormes et des pieds tout petits, et les maisons paraissaient sur le point de s'écrouler. Aussi, les villageois ne se privaient pas pour se moquer de moi et traitaient ma peinture de plaisanterie ou de stupidité"
Ivan Generalic: carte postale belge de 1982 sans commentaire (un peu d'efforts les belges!). On va l'appeler "Winter scene / Paysage d'hiver"
Ivan conclut: "Durant l'hiver 1936, la neige s'était accumulée sur les champs et dans les basses-cours. Partout régnaient la paix et la tranquillité. Et c'est cela que je préfère pour ma peinture."
Laissons Ivan retourner peintre un taureau dans un champ. Voilà. Maintenant on peut vous dire en confidence ce qu'il pense de sa femme: "Je ne signifie pas grand' chose pour elle. Je suis comme un boulet qu'elle traîne. Vous savez, j'ai commencé à lui échapper à ma manière, comme le fait chaque mari. Et parfois il me vient toutes sortes d'idées bizarres, des sottises. Je m'emporte, vous comprenez. Quelquefois je me mets simplement à courir, ou bien je poursuis une balle dans la cour, ou bien je rassemble les gosses et alors elle hurle après moi: "tu es pire que ces gosses!". Alors je discute avec elle pour savoir si j'ai marqué un but ou pas. Et elle crie après moi. Quand je suis avec les gamins, c'est alors que je suis moi-même. Elle dit: "tu es un vieux bonhomme et tu te conduis si sottement" (...) Elle désire qu'il y ait en moi quelque chose qui lui appartienne à elle. Elle est une auxiliaire pour moi, mais elle ne sait pas comment on peint; pourtant, elle critique comme cinq!"
Du grabuge dans la Podravina!
Cébizar Lémek (cebizarlemek.eklablog.com)
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Par fulgur29 le 16 Janvier 2016 à 16:08
Tomislav Petranovic: "Eau folle", huile sur toile de 1973
Retournons sur les bords de la Drave, ses marais et ses légendes. Tomislav Petranovic a peint une toile intitulée "Printemps", représentant une "femme qui vit quelque part dans les marais". Tomislav dit: "Je la montre portant des fleurs, peut-être est-ce notre Vesna, la Slave ancienne, déesse du printemps. Je voulais montrer le printemps à ma manière, comme si une femme arrivait des marais, apportant l'haleine des fleurs".
"Eau folle" ci-dessus évoque un thème proche, et fait penser aux "Pêcheuses" de Josip Generalic. Tomislav dit: "C'est la région de la vallée de la Save. Il y a là la rivière, des marais, de vieilles souches d'arbres, des paysans aux poings formidables, des paysans qui, au dire de certaines personnes paraissent un peu grotesques, bien que je ne les caricature nullement. Ils sont vigoureux, trapus, des colosses comme tous les paysans slovènes des environs".
Tomislav-Rvat Petranovic naît en 1934 dans le village de Prvca près de Nova Gradiska (dans la Podravina croate - encore un!)' et n'en bougera pas beaucoup, tentant un peu l'expérience de la ville. Instituteur, il attendra 1965 pour se mettre à peindre vraiment, autant sur toile que sur verre.
Tomislav Petranovic: "Le retour", huile sur toile de 1972
Tomislav ne paraît pas être dans le premier cercle des naïfs yougoslaves. Il n'aime d'ailleurs pas ce qualificatif. Il aime bien dire qu'il n'a jamais pu s'inscrire à l'Académie des Arts parce qu'il n'avait pas de relations, en un mot "pas la carte". Heureusement, en faisant le soir un petit boulot de garçon de café dans un bar où les frères Pintaric jouaient de la musique, il va rencontrer Josip Pintaric, déjà peintre, qui va l'initier et deviendra son ami à Nova Gradiska.
Tomislav a été marqué par la guerre durant son enfance. Son père était garde de chemin de fer et la famille habitait une maison isolée au bord de la voie ferrée. Les Allemands conduisaient les paysans-résistants dans un endroit désert et les exécutaient près de la maison. Tomislav dit: "Nous nous mettions, mon père, ma mère et moi à genoux et nous priions pour le repos de leur âme. Je me souviens de ces wagons chargés de prisonniers dont un était occupé par des juifs grecs. Le train s'arrêta à côté de notre maison parce que les partisans avaient fait sauter la voie un peu plus loin. Les prisonniers affamés et assoiffés demandaient de l'aide, ma mère et moi nous rampions jusqu'à eux, nous efforçant de ne pas être vus et nous leur offrions de l'eau car nous n'avions pas de vivres à leur donner".
Difficile de ne pas évoquer la guerre pour ces peintres nés avant 1940. Tomislav conclut en disant que ses compatriotes sont simplement doués pour l'art, et si l'art naïf y a trouvé niche, c'est que la société moderne a négligé la nature et que les naïfs, eux, savent la contempler et lui sont redevables des trésors de motifs qu'elle leur offre.
Cébizar Lémek (cebizarlemek.eklablog.com)
A suivre: le pote de Tomislav, Josip Pintaric!
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Par fulgur29 le 8 Janvier 2016 à 18:01
Vilma DORESIC: Sécheresse estivale (1972) - huile sur verre
Et voici Vilma, élève dit-on de Tereza Posavec-Dolenec, mais aussi aidée par Ivan Generalic (sacré lui, il est incontournable!) puisque, originaire de Pakrac en Croatie(née en 1936), elle a la bonne idée de s'installer à Hlebine. Dans ce village, il semble qu'on distribue à chacun un pinceau et des tubes de couleurs pour voir ce que cela va donner! Vilma dit: "Il ne faut pas utiliser les peintures telles qu'elles sortent du tube, vous savez, il est nécessaire de les mélanger". Cela montre à quel point ces peintres-paysans sont des autodidactes, à la technique sans doute frustre certes, mais qui aboutit à une toile telle que la "sécheresse estivale", car les naïfs aiment à représenter la vie de tous les jours, et Vilma se souvient d'une sécheresse terrible connue juste après la guerre: "nous avons mangé du pain de maïs toute l'année suivante. Car, à un moment donné, au 8ème mois, la pluie a recommencé à tomber de sorte que nous avons eu une récolte de maïs, pas de blé. Nous avions terriblement envie d'avoir à manger, mais il n'y avait rien. Nous étions nombreux chez nous, onze enfants".
Vilma dit: "Sur ce tableau, l'année a été très sèche. Le blé est clairsemé, des épis s'affaissent desséchés, il n'y a pas d'eau. Les gens souffrent de la sécheresse, les troupeaux ont soif et le chien est maigre et altéré. Un homme est en prières devant le champ de blé. Il a saisi un épi et celui-ci n'a pas de grain. L'homme ne sait s'il pourra ou non moissonner quelque chose. Près de la maison, une grand'mère se désole. Un enfant la regarde: il a faim et soif et il supplie qu'on lui donne du pain et de l'eau, mais il n'y en a pas. La vieille femme tient son chapelet en mains et elle prie. Il fait si chaud et sec, le ciel est écarlate".
Enfin, Vilma conclut: "Mes peintures sont différentes de celles des hommes. Le coloris est plus doux dans mes tableaux et, lorsque je représente un homme, il paraît moins rude. Je ne lui mets pas des pantalons rapiécés comme le font les hommes. C'est ce que les gens disent".
Ivan LACKOVIC CROATA: "Poplava" ("Inondation") 1963
Après la sécheresse, voici les inondations, fréquentes dans la vallée de la Drave. Les couleurs sont inhabituelles, comme si le fleuve charriait de la boue. Ces teintes jaunâtres/verdâtres ajoutent de la langueur chère à Lackovic. Que trimbale exactement le monsieur au chapeau devant lui?
Ivan GENERALIC "Inondation" (1964). Huile sur verre
Un an après Lackovic, Ivan Generalic ("le boss' de Hlebine") s'y met aussi. Sur son tableau, les femmes n'ont pas peur. Diable, elles ont du caractère! (voir au chapitre 15 ce qu'il dit de sa femme!)
Mijo KOVACIC: "L'inondation" 1972: huile sur verre (300 x 500 mm)
Et pour finir, Mijo, notre chouchou. Cette fois nous sommes dans les marais, avec ses personnages rustauds. L'un chipe des oeufs dans le creux d'une souche, chien mouillé et oiseaux faméliques se disputent une carcasse. Les arbres sont fantasmagoriques. C'est beau (zoomez!)...
Cébizar Lémek (cebizarlemek.eklablog.com)
Vilma, après Tereza, vient conforter le petit groupe de femmes peintres yougoslaves. Nous allons continuer à les mettre en lumière. Nous ne sommes pas au festival de BD d'angoulême, bon sang!. Entre nous, ce blog est fier (et heureux) d'avoir eu récemment la visite de l'artiste Monic-Michèle, habituée des rencontres d'art naïf de Verneuil-sur-Avre.
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