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35. Une partie de campagne
Branko Udiljak: "Arbre vivant" (1973)
On s'est dit: "Et si on s'offrait une partie de campagne?". Pas au bord de la rivière au milieu des canotiers comme M. Dufour, son épouse Pétronille et leur fille Henriette dans la nouvelle de Guy de Maupassant. Mais avec leur même vision naïve de la campagne. Alors, chaussons nos bottes, prenons nos bâtons, et aventurons-nous sur les sentiers forestiers!
La première rencontre est étonnante, voire inquiétante. On sursaute devant cette vieille souche chevelue, pareille à une mandragore, cette plante magique aux racines tortueuses qui servait de sortilège au Moyen-Age et, disait-on rendait invisible. On est là devant une huile sur verre de Branko Udiljak, né à Varazdin en 1945 . "Arbre vivant" ne laisse pas indifférent. La vieille souche paraît terriblement humaine. La branche droite finit par des extrémités mi-doigts mi-racines, la branche gauche est coupée brutalement, et de la sève rouge s'écoule de la plaie, tel du sang. Homme ou femme? Plutôt un homme. La forêt derrière a un aspect normal, comme si seule la souche avait subi un sort. Et que fait donc là cet étrange perroquet, qui semble sorti d'un tableau d'Ivan Vecenaj, cet obsédé des thèmes bibliques?
Ne restons pas trop longtemps dans le coin, de peur de regretter cette partie de campagne!
Josip Mrvcic: "Les fleurs et le bois" (1973)
C'est en périphérie de Podravina que vivait Josip Mrvcic, né en 1920 à Vojnovac. Ce n'est cependant pas un peintre de la première génération, puisqu'il ne s'essaie véritablement à la peinture (sur verre évidemment) que vers 1966. Les livres sur l'art naïf yougoslaves le mentionnent peu. Il paraît avoir un défaut aux yeux des spécialistes: "il ne peint pas à la manière valdravine". Ben voyons, le gros défaut que voilà. On n'essaiera même pas de vous expliquer ce qu'est "la manière valdravine", c'est ici un blog d'amateur. En gros, c'est "représenter de vastes plans et en couleurs claires".
Et Josip nous peint cette lisière de forêt de sapins, au pied des montagnes avec ces fleurs au premier plan, représentées avec une délicatesse toute féminine. Et on lâche nos bâtons pour applaudir. Sont-ce des lucioles qui tournoient au-dessus des fleurs? On n'a plus envie de bouger de peur que les deux oiseaux ne s'envolent.
Mirko Horvat: "Portrait de sanglier" (1972)
Chez les Horvat, il y a comme peintres au moins deux Josip, un Milan, un Karlo, et puis Mirko. Mirko est le fils de Josip Horvat Zdalski. Né en 1955 à Zdala (près de Gola, terre de naïfs), on dit qu'il a peint dès son plus jeune âge. A 14 ans, il passe déjà quelques mois en Allemagne où il expose. Mais c'est en Italie qu'il rencontre le plus de succès. C'est dans un environnement très hivernal que l'on repère le sanglier peint par Mirko, à 17 ans. Mirko aime jouer avec les ombres et les modeler. Avec ce sanglier assez énorme, il évoque les êtres et bêtes sauvages des légendes des marais de la Podravina. Il est ici représenté tel que le regard d'un enfant le trouvera sympathique (grâce à l'oeil du sanglier qui nous regarde sans agressivité ou noirceur). L'arrière-plan du tableau (les maisons couvertes de neige et les arbres sans feuilles) sont d'un classicisme que reprennent encore les peintres croates au XXIème siècle. (Comment? Nous voilà rendus au XXIème siècle? C'est impossible: ce blog évoque les naïfs yougoslaves jusqu'en 1982, pas au-delà!)
Josip Generalic: "La grenouille et la cigogne" (1972)
Après notre rencontre chanceuse avec le sanglier de Mirko, plus impressionnant que le "compère" de la bande-dessinée "Sylvain et Sylvette" (du loup, de l'ours et du renard, le sanglier était mon "compère préféré"), c'est par hasard que nos pas nous ont menés vers de curieux oiseaux, des créatures de Josip Generalic, une des trois "superstars" (c'est un terme des années 1970) de ce petit blog. Josip est le fils d'Ivan, le "boss" de Hlebine. On ne reviendra pas sur son génie et sa singularité, déjà évoqués dans l'article 7 "Josip, heureux fils de son père", puis un peu partout dans ce blog. On dit qu'il s'est libéré de la peinture naïve traditionnelle, qu'il a "défoncé" les barrières de la tradition, en même temps que les Beatles révolutionnaient la musique populaire du XXème siècle.
'"La grenouille et la cigogne" est sans doute un tableau mineur de Josip, une huile sur verre. Sauf erreur, ce n'est pas une fable de La Fontaine, même si grenouille et cigogne sont des personnages du grand fabuliste. Ce n'est pas non plus "la grenouille à la grande bouche". Elle paraît bien pataude et vulnérable dans sa mare. On sourit à la vision du monde naïf de Josip, avec ces nuages bulles empruntés à l'imaginaire d'Antun Bahunek.
Vous avez apprécié la cigogne façon Josip? Alors vous aimerez ci-dessous " le lac des oiseaux", peinture sur verre de 1970 qui préfigure "Adam et Eve" (voir chapitre 33) une de ses oeuvres majeures, exécutée la même année. Le lac des oiseaux, proche du paradis sur Terre?
Josip Generalic: "Le lac des oiseaux" (1970)
Franjo Filipovic: "Arbres jaunes (l'automne)" (1973)
J'espère que cette petite partie de campagne vous a plu et ne vous a pas paru trop longuette. J'ai cherché un paysage d'automne pour conclure ce mois de novembre. Et j'ai trouvé cette "oeuvre insolite" de Franjo Filipovic, ce paysan de Hlebine, voisin d'Ivan Generalic qui lui apprit à peindre "derrière le verre". Franjo, sa spécialité, ce sont "les chevelures d'arbres ornées de neige". Mais ici, l'hiver n'est pas encore venu, les pommes tombent des pommiers aux feuilles d'or. La liberté chromatique de Franjo nous épate: ce ciel lie-de-vin (enfin je crois, je suis un rien daltonien sur ces couleurs bordeaux), cette terre ocre et vivante, c'est trop chouettte!
Ce tableau fera son apparition à l'exposition "Automne Hlebinien 1973". Une superbe affiche pour l'exposition. J'aurais aimé y être. Mais je n'irai sans doute jamais à Hlebine et ne verrai non plus les marais de la Podravina.
A bientôt,
Cébizar Lémek
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