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36. Eloge de la verticalité
Matija SKURJENI: "Les fleurs". Huile sur toile de 1969 (50 x 33cm)
"Eloge de la verticalité"! Pourquoi un tel titre pour cet article qui va vous présenter sept peintures qui n'ont pas de thème commun entre elles, si ce n'est qu'elles se présentent plutôt en format portrait. Cébizar Lémek ayant remarqué que les articles étaient désormais lus sur un téléphone portable, et que le format "portrait" se prêtait bien à cette forme de lecture (présentation plein plan du tableau), il a sélectionné des oeuvres qu'espérons-nous, vous allez découvrir.
Ci-dessus, "les Fleurs" par Matija Skurjeni (à 70 ans), aussi appelé "le peintre des rêves". Né en 1898 dans un village près de Zlatar, il n'alla jamais à l'école. On le voit souvent portant lunettes et un bérêt. Ce ne fut pas un peintre-paysan, puisqu'il travailla douze ans dans une mine et trente ans aux chemins de fer. Ce n'est pas un peintre sur verre, uniquement sur la toile. Et son style est reconnaissable, tendant souvent vers le bleu-vert. Il dit ne pas aimer peindre les gens, et pourtant l'un de ses plus touchants tableaux est "Amours de gitans", présenté dans le 16ème article de ce blog: "Love, love, love". Il nous faire rire lorsqu'il nous glisse qu'il peint parfois des nus, mais "par coeur", uniquement de mémoire. Dans le tableau "les fleurs", cette succession de traits verticaux verts et bleus est une caractéristique du style de Matija (que l'on retrouve aussi dans "les trains" ou "le temps de l'être humain" par exemple).
Djuro BELOSA: "Maman fait du bois" (1973). Huile sur verre (70 x 70 cm)
Djuro est né à Grane pendant la guerre (1942). A 22 ans, il rencontre Ivan Rabuzin qui va l'inciter à peindre. Il n'est pas le plus connu des naïfs de la Podravina, d'abord parce que son village de Guscerovac, près de Krizevci, était bien excentré, mais surtout en raison de son caractère modeste et si réservé qu'on aurait pu ne jamais le remarquer. Et pourtant, en 1970 il expose à Milan: Djuro a percé. De "Maman fait du bois", le critique Grgo Gamulin, qui "par l'entremise de son examen morphologique iconographique anthropologique de l'école de Hlebine, a clarifié la poussiéreuse problématique de la naïveté", dit: "l'arbre est planté là sommairement, le personnage de la femme est traité par larges surfaces peintes, et la voûte du ciel est rouge sombre au-dessus de la neige bleue". Vous avez lu comment est qualifié le critique dans son livre? Quelle grandiloquence assez ridicule dans la description de son travail! Et la description du tableau, qualifié "d'expressionisme", nous laisse aussi sur notre faim. Les couleurs, c'est vrai, font penser aux paysages d'Ivan Vecenaj. Mais, si le tableau est sombre, il ne porte pas de tristesse. La maman est robuste, et bien droite dans ses bottes. Elle porte les fagots d'une main et voit le village au loin. Elle sera bientôt arrivée. A peine devine-t-on que son nez est un peu rougi par le froid.
Stjepan VECENAJ: "Pêcheuse sur le champignon" (1973)
Chez les Vecenaj, il ne faut pas se tromper. Le frère aîné, Ivan, est obnubilé par les thèmes bibliques (voir l'article 8 de ce blog). Stjepan, le cadet, est né à Gola en 1928. C'est un vrai paysan-peintre de la Podravina. En parlant de la peinture sur verre, il dit: "il faut être prudent et veiller à ne pas le briser.Souvent, je me fais des entailles. Voyez mes mains: elles sont toutes tailladées à force de tourner et retourner le verre". Il commence à peindre vers 1954, et se distingue par un humour "simple", avec des peintures comme "papa qui transporte maman au ciel", "Georges se repose", "barque joyeuse". Ici, les champignons sont le sujet principal (on les retrouve souvent chez les naïfs yougoslaves, parfois même avec un village perché sur le chapeau, comme chez Lubja Stolfa (article 10 du blog). La pêcheuse est-elle endormie ou ne veut-elle pas voir si ça mord? En tous cas le paysage est limpide, à la manière d'Ivan Stefanek. C'est le style qui va populariser l'art naïf yougoslave dans les années 1970 avec force cartes postales et posters.
Martin MEHKEK : "Bohémien avec le chat" (1973), huile sur verre
Martin, on le connaît, c'est aussi un paysan-peintre de Gola (il est né en 1936 dans le village voisin de Lovacka, et Ivan Vecenaj l'a encouragé à peindre, le village est petit!). A Lovacka, il y avait un campement de bohémiens: "ils sont restés dans ma mémoire. Leurs visages barbus, leurs grands nez, leurs vêtements en lambeaux. Et les femmes qui portaient des fichus de toutes les couleurs, et des blouses et des jupes de tons différents". Son premier tableau en 1955 s'intitulera "les bohémiens fabriquants de mangeoire". Il y eut aussi "chariot de bohémiens", "la tourmente" (une bohémienne et son enfant regagnant le village dans le vent), "le villageois commun" (un bohémien en gros-plan qui fume la pipe), et puis ce portrait de 1962, tout simplement formidable, avec le muguet en décoration.
Josip GENERALIC: "Enfant qui pêche" (1971)
Un clin d'oeil à Josip, "l'heureux fils de son père" (voir l'article 7). "Joza, Joza, lui disait son maître d'école à Koprivnica quand il avait 12 ans: pourquoi peins-tu les hommes aussi laids?"
Il est né en 1936, et finira par s'installer à Zagreb en 1970. Les enfants et la pêche seront deux de ses thèmes de prédilection: "femme au poisson", "pêcheurs avec filet", "femme qui pêche", "le poisson et le papîllon", "enfants qui cueillent les mûres", et puis ici "enfant qui pêche", où explose l'imagination fantastique de Josip. L'insecte géant paraît sorti d'un tableau de Franjo Klopotan (article 27). Josip "superstar", comme l'on disait en 1971.
Ivan GENERALIC: "Paon II" (1974), huile sur verre
En 1974, Ivan (appelé dans ce blog "le boss", terme qu'on a préféré au "taulier") a 60 ans. Il a déjà peint tant de sujets si différents, même un gardien de vaches au pied de la Tour Eiffel ("Mon Paris", 1972). Attention, il n'aura jamais la fantaisie de son fils Josip! En 1973, après "paons dans le bois", il peint un magnifique paon sur une branche, devant un paysage de montagne désolé ("Paon"). L'année suivante, il récidive: le paysage de montagne est assez triste jusqu'à l'infini, mais le fier paon s'en moque et nous gratifie d'une roue majestueuse, comme un pied-de-nez au marasme ambiant.
Greta PECNIK: "La Terre" (1970). Huile sur toile
Greta est d'origine slovène (née en 1924 à Plotnica, village près de Maribor). Elle s'installera ensuite en Istrie (à Péran) et choisira la peinture sur toile. "Le matin, je fais mon ménage et, l'après-midi je m'enferme dans mon monde à moi, dans mon studio". Ses représentations ne sont pas celles de la vie réelle, mais des fantaisies de ses rêves ou son imagination, parfois érotiques, parfois contes de fées. "La Terre" impressionne par son symbolisme. La terre est une grand mère bienveillante ("mother earth"), son fichu de grandes fleurs blanches semble envelopper les villageois qui s'apprêtent à enterrer deux des leurs, peut-être des enfants (ceux-ci ont pris des teintes grises, en opposition aux couleurs plutôt vives des tenues des villageois). Quelle mise en scène magistrale!
A bientôt! (verticalement ou horizontalement)
cebizarlemek.eklablog.com
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