• 37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Fagot de broussailles", huile sur verre de Mijo KOVACIC (38 x 31 cm - 1960)

     Boris Kelemen est un croate, né à Podravska Slatina en 1930. Docteur en histoire de l'art, il sera directeur de galeries à Zagreb. A la fin des années 1960, il publie un livre sur la peinture naïve yougoslave qui fait référence. Sur certaines éditions (comme l'allemande), les illustrations sont contrecollées dans l'ouvrage, ce qui lui donne un côté artisanal sympathique. Cebizar a choisi huit des coups de coeur de Boris. Et l'on commence par ce porteur de fagots d'un des chouchous de ce blog: Mijo Kovacic. Pour les habitués, ce blog a un boss: Ivan Generalic. Et quelques préférés: Josip Generalic, Ivan Stefanec, deux ou trois autres, et Mijo, le fermier de Gornja Suma, près de Hlebine. C'est un as de la peinture sur verre. Lorsqu'il peint le porteur de fagots (ou "la brassée de bois"), il n'a que 25 ans.

    On ne va pas dire qu'on le reconnaît du premier coup, mais pourtant: le personnage est puissant, les bras et surtout les pieds grands et larges, comme un personnage de Tolkien. Tonalités verte et bleue (le vert sombre est prédominant chez Mijo), et pauvreté de détails (l'arrière plan, la maison de bois) qui contraste avec ses tableaux ultérieurs décrivant la vie dans le village ou le peuple des marais. Les fagots semblent remplacer la tête du paysan tant il doit courber l'échine. Quelques branches mortes aussi au bout de l'arbre: Mijo adore représenter les arbres aux branches mortes, arbres si morts qu'ils paraissent vivants! La végétation au sol, superbe, paraît être un tapis qui le guide.

    37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Femme de la Podravina" de Mirko VIRIUS (huile sur toile de 67 x 55 cm - 1939)

    Mirko Virius! Voici longtemps qu'on ne l'avait croisé. Trop classique? Trop ancien (il est né en 1889!)? Si vous avez lu l'historique, il est considéré comme l'un des fondateurs de l'art naïf yougoslave en 1936 avec Franjo Mraz et Ivan Generalic. Après une vie rude et pauvre (il a été prisonnier de guerre en 14-18), le natif de Djelekovac a juste eu le temps de peindre quatre années avant la nouvelle guerre mondiale, son internement dans le camp de Zemun près de Belgrade, et son exécution en 1943. Ses peintures sont, reflet de l'époque, souvent tristes et austères. En 1938, il passe de la peinture sur verre à la toile. Classique, sans doute, cette "femme de la Podravina", cette région qui borde la rivière Drave, près de la frontière entre Croatie et Hongrie. Des critiques un peu vachards vont même parler "d'amateurisme de campagne" et de "mysticisme simplet". Alors, défendons ici l'oeuvre de Mirko: on lit une telle lassitude sur le visage de la mère. Un découragement sans fin. Heureusement le fils est là qui lui tient la main. Il a le regard sûr, on sent par delà une moue inquiète son assurance et sa force. Celle de la jeunesse. Les couleurs rouges des vêtements ressortent superbement. Le champ, presque un enchantement.

    Mirko vous a séduit? On vous propose une autre peinture!

    37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Le pêcheur", huile sur toile de Mirko VIRIUS ( 34 x 44cm - 1939)

    Et revoici Mirko. Juste avant la guerre et le chaos en Europe. Difficile de ne pas penser à son destin tragique lorsqu'on regarde ce pêcheur assis au bord de l'étang qu'on a cru un instant en forme de coeur. Avec sa casquette et sa chemise blanche, il évoque un personnage de Caillebotte. La ligne pend mollement de la canne à pêche, ajoutant au calme. Les roseaux se sont mis en cercle pour le regarder. Et l'arbre porte moustache. Le vert est couleur d'espérance, mais ici c'est le bleu de l'étang qui la suggère. Instant de bonheur au bord de l'étang?

    37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Le jardin", par Emerik FEJES (peinture sur papier: 59 x 83cm - 1950)

    En Voïvodine, dans le faubourg de Novi Sad, le fabricant de peignes et boutons Emerik Fejes a une passion "enfantine" que sa femme ne supporte pas (elle brûlera souvent ses peintures sur papier): il peint des villes européennes à partir de cartes postales, avec une allumette à la place d'un pinceau! (On vous réserve un article sur les villes d'Emerik, promis). Un original? Certainement. Il fabriquait ses peignes avec des os d'animaux tués à l'abattoir. Asthmatique et souvent alité, il voyage en rêve.

    En 1950, il peint "le jardin". La peinture a plu à Boris, et à nous aussi. Car elle surprend  par son apparente simplicité et le caractère foncièrement naïf dans les perspectives (notamment dans le carré représentant l'intérieur de la maison). Une forme de maladresse qui nous réjouit. La mise en scène est habile, non? : du jaune en haut, du vert en bas, un ruban noir qui traverse la toile, un arbre comme un grand "I", et ce carré gris bleu (Cébizar se trompe parfois dans les couleurs, il est un rien daltonien). Des animaux en liberté, et ce détail étrange: dans l'herbe sur la gauche, une femme et un homme, nus. Tels Eve et Adam. Si bien qu'on se demande si les fleurs du jardin ne sont pas une multitude de personnages nus!

    37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Les bêcheuses", par Ivan RABUZIN (huile sur toile de 67 x 89cm - 1963)

    Il n'y a pas deux Ivan Rabuzin, un peintre du bonheur et de l'harmonie, même quand les travailleuses sont à la tâche, comme ces bêcheuses ("erdarbeiterinen" pour la version d'outre-Rhin). Ivan, fils de mineur, avait 10 frères et soeurs. Il va travailler dans une fabrique de meubles et a 40 ans dans les années 1960 quand il se fait un nom. Ivan de Kljuc, le front dégagé sur les photos, peint sur toile. Ses soleils sont étonnants, ici comme une balle de tennis entourée d'une bogue de mousse. Il admet qu'il n'y a jamais d'ombre dans ses tableaux, "mais des contrastes", précise-t-il. Fleurs, collines, nuages, tout est ordonnancé. Surtout les nuages, sa marotte. Ici, comme souvent, ils sont pareils à des balles de coton. Détail surprenant: les paysannes, qui paraissent "flotter" pieds nus au-dessus du champ, portent un mouchoir sur le nez, comme pour se protéger de la poussière qu'elles dégagent en bêchant.

    37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Mon village", de Stjepan VECENAJ (huile sur verre de 35 x 45cm - 1962)

    "Dans la famille Vecenaj, je voudrais le frère d'Ivan!". Oui, Ivan, le grand frère obnubilé par les thèmes bibliques (vous savez, il a vendu "la dernière Cène" à l'acteur hollywoodien Yul Brynner), est plus connu que Stjepan (né en 1928, fermier de Gola). Mais ce dernier a plus d'un tour dans son sac. Il a 34 ans lorsqu'il peint sur verre "mon village". Il avoue qu'il ne saurait peindre autre chose que ce qui l'entoure, et comme il ne bouge jamais de son coin...

    Alors, voici son village. Curieux mécanisme de balancier pour retirer l'eau du puits, avec une vieille souche et un tronc bidouillés faisant contrepoids, le long tronc fin glissé entre les branches d'un arbre mort. L'abreuvoir paraît creusé dans un très gros bambou. Les meules de foin (ce sont des meules de foin) sont telles deux poires. Cébizar me glisse: "le paysan, on dirait Boy George!". Quel idiot, Cébizar!

    De vous à moi, des deux frangins, c'est le cadet qu'on préfère ici.

    37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Le paon" d'Ilija "BOSILJ" BASICEVIC (huile sur bois de 35 x 30cm - 1966)

    Oh la la! Qu'est-ce qui arrive? On est toujours sur le blog de Cébizar, ou dans le cahier de dessins d'un écolier de six ans? C'est là aussi qu'il nous plaît Boris, dans ses coups de coeur désarmants.

    D'abord, Ilija est serbe, né à Sid en 1895. Pauvre et peu instruit, avide de voyages qu'il ne pourra effectuer, il se marie et traverse ainsi le siècle dans la Yougoslavie communiste. Il va avoir deux fils... brillants! Le premier sera physicien. Ilija est fier. Le second s'appelle Dimitrije est devient historien et, accessoirement critique d'art. Ilija est consterné.

    A 62 ans, Ilija ne va pas bien: sans travail, "persécuté par le régime", il se met à peindre. Consternation à son tour de son fils Dimitrije à la vue de ses croûtes, à tel point qu'il en détruit! Pas de respect pour son vieux. C'est vrai, le style paraît si enfantin, si maladroit. Comme s'il représentait des bribes de rêve. Peu à peu, Dimitrije commence à apprécier le style unique de son père, aussi proche de l'art brut que du naïf. Ilija a pris le pseudonyme de "Bosilj", ne nous demandez pas pourquoi. Sur bois, il a dessiné un paon. Bien sûr, vous l'avez deviné. Menteurs! Ou alors vous avez un monde de rêves semblable.

    37. Huit coups de coeur de Boris

     

    "Amour et menace" de Vangel NAUMOVSKI (huile sur toile de 111 x 68cm - 1961)

    Dernier coup de coeur de Boris (pour cette fois: une seconde partie possible si celle-ci vous a plu). Nous partons en Macédoine, chez Vangel Naumovski, à Ohrid. Il a 37 ans quand il peint sur toile l'amour et la menace. Vous tiquez? Vous vous demandez si c'est bien là de l'art naïf yougoslave. C'est vrai, on est assez loin de Stjepan Vecenaj, par exemple. Et Vangel acquiesce: "outre l'abstrait, qui ne figure pas souvent dans mon oeuvre, il y a un surréalisme optimiste et naïf. Je suis optimiste à fond".

    On a dit que Vangel mettait dans ses peintures "le pouls de la vie, le remue-ménage incessant qui donne son sens à l'existence". "Oui, c'est ça!", dit Vangel. Et son tableau, alors, on en parle? Le fond est noir, c'est la classe.La femme endormie rougit. A-t-elle péché? (quelle drôle d'idée) C'est Eve évidemment, vous distinguez le fin serpent qui passe sous ses jambes et autour de son cou pour s'interposer entre elle et Adam. On dirait un décor de plantes d'aquarium, avec cependant des coquelicots à droite, la lune en croissant en haut et un oursin noir (ou une éponge?) au premier plan. Quelle est la menace? Adam ou le serpent? Certains d'entre vous ont déjà tout compris. Pas nous. On n'est pas des spécialistes. Juste des amateurs avec une petite lumière.

    Merci Boris. Belles découvertes. A bientôt,

    Cébizar Lémek

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  • 36. Eloge de la verticalité

     

    Matija SKURJENI: "Les fleurs". Huile sur toile de 1969 (50 x 33cm)

    "Eloge de la verticalité"! Pourquoi un tel titre pour cet article qui va vous présenter sept peintures qui n'ont pas de thème commun entre elles, si ce n'est qu'elles se présentent plutôt en format portrait. Cébizar Lémek ayant remarqué que les articles étaient désormais lus sur un téléphone portable, et que le format "portrait" se prêtait bien à cette forme de lecture (présentation plein plan du tableau), il a sélectionné des oeuvres qu'espérons-nous, vous allez découvrir.

    Ci-dessus, "les Fleurs" par Matija Skurjeni (à 70 ans), aussi appelé "le peintre des rêves". Né en 1898 dans un village près de Zlatar, il n'alla jamais à l'école. On le voit souvent portant lunettes et un bérêt. Ce ne fut pas un peintre-paysan, puisqu'il travailla douze ans dans une mine et trente ans aux chemins de fer. Ce n'est pas un peintre sur verre, uniquement sur la toile. Et son style est reconnaissable, tendant souvent vers le bleu-vert. Il dit ne pas aimer peindre les gens, et pourtant l'un de ses plus touchants tableaux est "Amours de gitans", présenté dans le 16ème article de ce blog: "Love, love, love". Il nous faire rire lorsqu'il nous glisse qu'il peint parfois des nus, mais "par coeur", uniquement de mémoire. Dans le tableau "les fleurs", cette succession de traits verticaux verts et bleus est une caractéristique du style de Matija (que l'on retrouve aussi dans "les trains" ou "le temps de l'être humain" par exemple).

    36. Eloge de la verticalité

     

    Djuro BELOSA: "Maman fait du bois" (1973). Huile sur verre (70 x 70 cm)

    Djuro est né à Grane pendant la guerre (1942). A 22 ans, il rencontre Ivan Rabuzin qui va l'inciter à peindre. Il n'est pas le plus connu des naïfs de la Podravina, d'abord parce que son village de Guscerovac, près de Krizevci, était bien excentré, mais surtout en raison de son caractère modeste et si réservé qu'on aurait pu ne jamais le remarquer. Et pourtant, en 1970 il expose à Milan: Djuro a percé. De "Maman fait du bois", le critique Grgo Gamulin, qui "par l'entremise de son examen morphologique iconographique anthropologique de l'école de Hlebine, a clarifié la poussiéreuse problématique de la naïveté", dit: "l'arbre est planté là sommairement, le personnage de la femme est traité par larges surfaces peintes, et la voûte du ciel est rouge sombre au-dessus de la neige bleue". Vous avez lu comment est qualifié le critique dans son livre? Quelle grandiloquence assez ridicule  dans la description de son travail! Et la description du tableau, qualifié "d'expressionisme", nous laisse aussi sur notre faim. Les couleurs, c'est vrai, font penser aux paysages d'Ivan Vecenaj. Mais, si le tableau est sombre, il ne porte pas de tristesse. La maman est robuste, et bien droite dans ses bottes. Elle porte les fagots d'une main et voit le village au loin. Elle sera bientôt arrivée. A peine devine-t-on que son nez est un peu rougi par le froid.

    36. Eloge de la verticalité

     

    Stjepan VECENAJ: "Pêcheuse sur le champignon" (1973)

    Chez les Vecenaj, il ne faut pas se tromper. Le frère aîné, Ivan, est obnubilé par les thèmes bibliques (voir l'article 8 de ce blog). Stjepan, le cadet, est né à Gola en 1928. C'est un vrai paysan-peintre de la Podravina. En parlant de la peinture sur verre, il dit: "il faut être prudent et veiller à ne pas le briser.Souvent, je me fais des entailles. Voyez mes mains: elles sont toutes tailladées à force de tourner et retourner le verre". Il commence à peindre vers 1954, et se distingue par un humour "simple", avec des peintures comme "papa qui transporte maman au ciel", "Georges se repose", "barque joyeuse". Ici, les champignons sont le sujet principal (on les retrouve souvent chez les naïfs yougoslaves, parfois même avec un village perché sur le chapeau, comme chez Lubja Stolfa (article 10 du blog). La pêcheuse est-elle endormie ou ne veut-elle pas voir si ça mord? En tous cas le paysage est limpide, à la manière d'Ivan Stefanek. C'est le style qui va populariser l'art naïf yougoslave dans les années 1970 avec force cartes postales et posters.

    36. Eloge de la verticalité

     

    Martin MEHKEK : "Bohémien avec le chat" (1973), huile sur verre

    Martin, on le connaît, c'est aussi un paysan-peintre de Gola (il  est né en 1936 dans le village voisin de Lovacka, et Ivan Vecenaj l'a encouragé à peindre, le village est petit!). A Lovacka, il y avait un campement de bohémiens: "ils sont restés dans ma mémoire. Leurs visages barbus, leurs grands nez, leurs vêtements en lambeaux. Et les femmes qui portaient des fichus de toutes les couleurs, et des blouses et des jupes de tons différents". Son premier tableau en 1955 s'intitulera "les bohémiens fabriquants de mangeoire". Il y eut aussi "chariot de bohémiens", "la tourmente" (une bohémienne et son enfant regagnant le village dans le vent), "le villageois commun" (un bohémien en gros-plan qui fume la pipe), et puis ce portrait de 1962, tout simplement formidable, avec le muguet en décoration.

    36. Eloge de la verticalité

     

    Josip GENERALIC: "Enfant qui pêche" (1971)

    Un clin d'oeil à Josip, "l'heureux fils de son père" (voir l'article 7). "Joza, Joza, lui disait son maître d'école à Koprivnica quand il avait 12 ans: pourquoi peins-tu les hommes aussi laids?"

    Il est né en 1936, et finira par s'installer à Zagreb en 1970. Les enfants et la pêche seront deux de ses thèmes de prédilection: "femme au poisson", "pêcheurs avec filet", "femme qui pêche", "le poisson et le papîllon", "enfants qui cueillent les mûres", et puis ici "enfant qui pêche", où explose l'imagination fantastique de Josip. L'insecte géant paraît sorti d'un tableau de Franjo Klopotan (article 27). Josip "superstar", comme l'on disait en 1971.

    36. Eloge de la verticalité

     

    Ivan GENERALIC: "Paon II" (1974), huile sur verre

    En 1974, Ivan (appelé dans ce blog "le boss", terme qu'on a préféré au "taulier") a 60 ans. Il a déjà peint tant de sujets si différents, même un gardien de vaches au pied de la Tour Eiffel ("Mon Paris", 1972). Attention, il n'aura jamais la fantaisie de son fils Josip! En 1973, après "paons dans le bois", il peint un magnifique paon sur une branche, devant un paysage de montagne désolé ("Paon"). L'année suivante, il récidive: le paysage de montagne est assez triste jusqu'à l'infini, mais le fier paon s'en moque et nous gratifie d'une roue majestueuse, comme un pied-de-nez au marasme ambiant. 

    36. Eloge de la verticalité

     

    Greta PECNIK: "La Terre" (1970). Huile sur toile

    Greta est d'origine slovène (née en 1924 à Plotnica, village près de Maribor). Elle s'installera ensuite en Istrie (à Péran) et choisira la peinture sur toile. "Le matin, je fais mon ménage et, l'après-midi je m'enferme dans mon monde à moi, dans mon studio". Ses représentations ne sont pas celles de la vie réelle, mais des fantaisies de ses rêves ou son imagination, parfois érotiques, parfois contes de fées. "La Terre" impressionne par son symbolisme. La terre est une grand mère bienveillante ("mother earth"), son fichu de grandes fleurs blanches semble envelopper les villageois qui s'apprêtent à enterrer deux des leurs, peut-être des enfants (ceux-ci ont pris des teintes grises, en opposition aux couleurs plutôt vives des tenues des villageois). Quelle mise en scène magistrale!

    A bientôt! (verticalement ou horizontalement)

    cebizarlemek.eklablog.com


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  • 35. Une partie de campagne

     

    Branko Udiljak: "Arbre vivant" (1973)

    On s'est dit: "Et si on s'offrait une partie de campagne?". Pas au bord de la rivière au milieu des canotiers comme M. Dufour, son épouse Pétronille et leur fille Henriette dans la nouvelle de Guy de Maupassant. Mais avec leur même vision naïve de la campagne. Alors, chaussons nos bottes, prenons nos bâtons, et aventurons-nous sur les sentiers forestiers!

    La première rencontre est étonnante, voire inquiétante. On sursaute devant cette vieille souche chevelue, pareille à une mandragore, cette plante magique aux racines tortueuses qui servait de sortilège au Moyen-Age et, disait-on rendait invisible. On est là devant une huile sur verre de Branko Udiljak, né à Varazdin en 1945 . "Arbre vivant" ne laisse pas indifférent. La vieille souche paraît terriblement humaine. La branche droite finit par des extrémités mi-doigts mi-racines, la branche gauche est coupée brutalement, et de la sève rouge s'écoule de la plaie, tel du sang. Homme ou femme? Plutôt un homme. La forêt derrière a un aspect normal, comme si seule la souche avait subi un sort. Et que fait donc là cet étrange perroquet, qui semble sorti d'un tableau d'Ivan Vecenaj, cet obsédé des thèmes bibliques?

    Ne restons pas trop longtemps dans le coin, de peur de regretter cette partie de campagne!

    35. Une partie de campagne

     

    Josip Mrvcic: "Les fleurs et le bois" (1973)

    C'est en périphérie de Podravina que vivait Josip Mrvcic, né en 1920 à Vojnovac. Ce n'est cependant pas un peintre de la première génération, puisqu'il ne s'essaie véritablement à la peinture (sur verre évidemment) que vers 1966. Les livres sur l'art naïf yougoslaves le mentionnent peu. Il paraît avoir un défaut aux yeux des spécialistes: "il ne peint pas à la manière valdravine". Ben voyons, le gros défaut que voilà. On n'essaiera même pas de vous expliquer ce qu'est "la manière valdravine", c'est ici un blog d'amateur. En gros, c'est "représenter de vastes plans et en couleurs claires".

    Et Josip nous peint cette lisière de forêt de sapins, au pied des montagnes avec ces fleurs au premier plan, représentées avec une délicatesse toute féminine. Et on lâche nos bâtons pour applaudir. Sont-ce des lucioles qui tournoient au-dessus des fleurs? On n'a plus envie de bouger de peur que les deux oiseaux ne s'envolent. 

    35. Une partie de campagne

     

    Mirko Horvat: "Portrait de sanglier" (1972)

    Chez les Horvat, il y a comme peintres au moins deux Josip, un Milan, un Karlo, et puis Mirko. Mirko est le fils de Josip Horvat Zdalski. Né en 1955 à Zdala (près de Gola, terre de naïfs), on dit qu'il a peint dès son plus jeune âge. A 14 ans, il passe déjà quelques mois en Allemagne où il expose. Mais c'est en Italie qu'il rencontre le plus de succès. C'est dans un environnement très hivernal que l'on repère le sanglier peint par Mirko, à 17 ans. Mirko aime jouer avec les ombres et les modeler. Avec ce sanglier assez énorme, il évoque les êtres et bêtes sauvages des légendes des marais de la Podravina. Il est ici représenté tel que le regard d'un enfant le trouvera sympathique (grâce à l'oeil du sanglier qui nous regarde sans agressivité ou noirceur). L'arrière-plan du tableau (les maisons couvertes de neige et les arbres sans feuilles) sont d'un classicisme que reprennent encore les peintres croates au XXIème siècle. (Comment? Nous voilà rendus au XXIème siècle? C'est impossible: ce blog évoque les naïfs yougoslaves jusqu'en 1982, pas au-delà!)

    35. Une partie de campagne

     

    Josip Generalic: "La grenouille et la cigogne" (1972)

    Après notre rencontre chanceuse avec le sanglier de Mirko, plus impressionnant que le "compère" de la bande-dessinée "Sylvain et Sylvette" (du loup, de l'ours et du renard, le sanglier était mon "compère préféré"), c'est par hasard que nos pas nous ont menés vers de curieux oiseaux, des créatures de Josip Generalic, une des trois "superstars" (c'est un terme des années 1970) de ce petit blog. Josip est le fils d'Ivan, le "boss" de Hlebine. On ne reviendra pas sur son génie et sa singularité, déjà évoqués dans l'article 7 "Josip, heureux fils de son père", puis un peu partout dans ce blog. On dit qu'il s'est libéré de la peinture naïve traditionnelle, qu'il a "défoncé" les barrières de la tradition, en même temps que les Beatles révolutionnaient la musique populaire du XXème siècle.

    '"La grenouille et la cigogne" est sans doute un tableau mineur de Josip, une huile sur verre. Sauf erreur, ce n'est pas une fable de La Fontaine, même si grenouille et cigogne sont des personnages du grand fabuliste. Ce n'est pas non plus "la grenouille à la grande bouche". Elle paraît bien pataude et vulnérable dans sa mare. On sourit à la vision du monde naïf de Josip, avec ces nuages bulles empruntés à l'imaginaire d'Antun Bahunek. 

    Vous avez apprécié la cigogne façon Josip? Alors vous aimerez ci-dessous " le lac des oiseaux", peinture sur verre de 1970 qui préfigure "Adam et Eve" (voir chapitre 33) une de ses oeuvres majeures, exécutée la même année. Le lac des oiseaux, proche du paradis sur Terre?

    35. Une partie de campagne

     

    Josip Generalic: "Le lac des oiseaux" (1970)

    35. Une partie de campagne

     

    Franjo Filipovic: "Arbres jaunes (l'automne)" (1973)

    J'espère que cette petite partie de campagne vous a plu et ne vous a pas paru trop longuette. J'ai cherché un paysage d'automne pour conclure ce mois de novembre. Et j'ai trouvé cette "oeuvre insolite" de Franjo Filipovic, ce paysan de Hlebine, voisin d'Ivan Generalic qui lui apprit à peindre "derrière le verre". Franjo, sa spécialité, ce sont "les chevelures d'arbres ornées de neige". Mais ici, l'hiver n'est pas encore venu, les pommes tombent des pommiers aux feuilles d'or. La liberté chromatique de Franjo nous épate: ce ciel lie-de-vin (enfin je crois, je suis un rien daltonien sur ces couleurs bordeaux), cette terre ocre et vivante, c'est trop chouettte!

    Ce tableau fera son apparition à l'exposition "Automne Hlebinien 1973". Une superbe affiche pour l'exposition. J'aurais aimé y être. Mais je n'irai sans doute jamais à Hlebine et ne verrai non plus les marais de la Podravina.

    A bientôt,

    Cébizar Lémek


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  • 34. Et si j'parlais des filles?

     

    Nada HEGEDUSIC-JANKOVIC: "Le violoneux" (1972) Huile sur verre (80 x 80 cm)

    "Et si j'parlais des filles, du bonheur qu'elles distillent..." chantait Nicolas Peyrac dans une chanson méconnue du siècle passé. Dans l'art naïf, comme dans l'essentiel des domaines, la place laissée aux femmes n'est pas bien grande. L'homme est partout, l'homme domine, et les choses ne changent pas vite. Dans ce petit blog, on a déjà évoqué les champignons et les fleurs de Ljuba STOLFA (article 10), ainsi que Teresa POSAVEC, première femme-peintre de Hlebine (article 12). Mais cette fois, on ne chipote pas: place à la gente féminine, place à la délicatesse et aux motifs fleuris, place à l'imaginaire de Vénus!

    On a choisi une peinture de Nada HEGEDUSIC-JANKOVIC pour commencer. Nada est née en 1943 à Hlebine (le monde de l'art naïf yougoslave est parfois hyper-concentré!). C'est Ivan Generalic qui lui donne ses premières leçons de peinture à l'école primaire. Après des études techniques, elle commence à peindre dès 1967 (à 24 ans donc). Elle est considérée comme une intellectuelle (mettrait-on cela en avant pour un homme?) et obtient vite un succès à l'étranger (elle expose en Belgique à la fin des années 1960). Sa peinture se distingue par des fleurs et feuilles stylisées sur les arbres et les buissons. On dit qu'elle fait partie de la 4ème génération des naïfs yougoslaves, toujours cette manie de ranger les gens dans des cases... Avec "le violoneux" endormi au pied d'un arbre quasi-exotique, Nada donne une touche joyeuse et paisible à son oeuvre. Mais ce ne sera pas toujours le cas.

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Marija MATINA: "Hlebine en hiver" (1970) Huile sur verre (71 x 135 cm)

    Marija MATINA est quasi jumelle de Nada: elle est aussi née à Hlebine (en 1944), et Ivan Generalic (qu'on appelle ici amicalement "le boss") lui a dispensé des cours de dessin à l'école primaire. Dès 1966, elle expose, et part vivre en Allemagne en 1970. La peinture de Marija se caractérise au départ par de "larges taches de couleur et des tonalités agressives", mais avec "Hlebine en hiver", la voici assagie avec des thèmes plus classiques (quoique: ces arbres, tels des baobabs!). Les nuées d'oiseaux au fond rappellent Ivan Lackovic (ainsi que le thème de l'hiver), le ciel tricolore reprend les couleurs du drapeau de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.

     

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Nada HEGEDUSIC-JANKOVIC: "Hiver" (1972) Huile sur verre (70 x 60 cm)

    Une deuxième couche au sujet de Nada HEGEDUSIC-JANKOVIC. Plus haut, "le violoneux" somnolait dans une nature paisible et sereine. Mais Nada a tendu aussi vers des couleurs plus "ténues, jusqu'à créer une atmosphère glaciale mais remplie également d'un charme surprenant". Avec "Hiver", c'est l'étoffe rouge qui accroche l'oeil, tandis que l'arbre, aux branches qui semblent éclairées de l'intérieur, se dresse avec une vigueur toute masculine.

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Barbara PERCAC (1973): "Violettes avant l'inondation" Huile sur verre (80 x 50 cm)

    De Barbara PERCAC, née en 1942 à Koprivnicki Bregi, on dit qu'elle a suivi avec habileté les traces de Mijo Kovacic, l'un de trois préférés de ce petit blog. Et pour cause, c'est Mijo qui lui a donné ses premières leçons de peinture à Molve. A partir de 1968, elle peint à plein temps et s'installe à Virje. On dit de Barbara qu'elle est une virtuose. Ici, avec son tableau au titre déjà somptueux, le muguet explose dans le pot de fleurs, tandis qu'autour Dame nature, toute puissante, prépare un coup de colère.

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Barbara PERCAC: "Travaux champêtres" (1971)  Huile sur verre (70 x 80 cm)

    Barbara "la virtuose" passe donc aisément des natures mortes de la Podravina (la vallée de la Drave, à la frontière yougoslave au nord), des fleurs "valdravines" (moi aussi j'ai découvert le terme, sortez-le lors d'un repas mondain, vous gagnerez des points), à un paysage champêtre. Là, pas de doute, c'est un clin d'oeil au monde de Mijo Kovacic! D'accord, les paysans sont moins rustauds, ils n'ont pas les mains comme des battoirs, ni les traits néanderthaliens. Mais sinon, toutes les cases du monde de Mijo sont cochées, jusqu'aux couleurs qui nous conduisent entre chien et loup.

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Ana BOCAK : "Pavots" (1972) Huile sur verre (48 x 50 cm)

    Que sait-on ici d'Ana BOCAK, dont les couleurs sans tarder nous enivrent? Ana, c'est la joie, non? Elle naît en 1931 à Podravska Slatina. Ce n'est qu'en 1968 (à 37 ans donc) que, subjuguée par une exposition d'Ivan Lackovic à Djurdjevac, elle va se mettre à peintre en suivant les cours d'Ivan Tomerlin (né en 1960), peintre sur verre. On peut lire d'elle qu'elle a "une joie de peindre toute féminine, sans prétentions, ne s'embarrassant d'aucune idée compliquée" (entre nous, il semble que ce soit écrit plus facilement puisqu'il s'agit d'une femme, non?). Mais ce qu'on pourrait qualifier de simplicité devient une force lorsque ces compositions florales nous éclaboussent. Des critiques ont parlé de "fleurs assez froides", de "dessin ordonné", mais ont reconnu le "raffinement surprenant" des pavots. Pourquoi surprenant? Ana BOCAK leur claque le bec!

     

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Ana BOCAK: "Relevant le filet" (1973) Huile sur verre (60 x 47 cm)

    Et Ana de faire taire les critiques. En 1973, elle participe à l'exposition des femmes peintres à Hlebine. Et on peut lire: "Tout est peint avec une remarquable discipline: cela est probablement dû au sens féminin de l'ordre et de la précision" (entre nous, la femme paraît un mystère pour le critique, ah, ah!). Mais la critique avoue: "Comment ne pas se sentir heureux devant une semblable féminisation de l'Ecole de Hlebine?". Ah, voilà une phrase qui fait du bien! Et avec "relevant le filet", le critique parle de "sensibilité lyrique". Nous, on aimerait entrer dans ce tableau, étendard fleuri de l'art naïf. Tout simplement.

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Marija BALAN: "Danse" (1971) Huile sur toile (50 x 70 cm)

    Un petit tour par la Voïvodine, ça vous dit? C'est cette large plaine frontalière, au nord de la Serbie (dans ce blog, on ne s'aventure pas trop sur la géographie locale, le sujet est vite brûlant, je l'ai remarqué). Maria (ou Marija?) Balan est née en 1923 à Uzdin, village banate serbe. Ah, le Banat est une région historique dont la capitale historique est Timisoara, et partagé aujourd'hui entre 3 pays: la Roumanie (Timisoara), la Serbie et la Hongrie. Maria est une vraie paysanne du début du XXème siècle: illettrée, mariée tôt, aux champs du matin au soir. Le dimanche, elle va avec ses copines à l'église orthodoxe du village, vêtue de ses plus beaux vêtements. Et, après la messe, elle aime regarder les jeunes entamer le temps des danses roumaines sur la place du village.

    Ce n'est que dans les années 1960 que, découvrant une exposition de peintures, Maria songe qu'il y a un moyen de préserver les coutumes du passé qu'elle aimait tant: "les chars tirés par les chevaux et parés de décors chatoyants et colorés, ainsi que les cabriolets formant un long défilé dans les rues lors des fiançailles, processions et baptêmes". Avec "la danse", Maria (ou Marija) a tout résumé: la richesse des coutumes du passé, mais aussi le bonheur de la jeunesse dans les sourires et les regards que se lancent les danseurs. C'est euphorisant.

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Anujka MARAN (1964): "Une jeune mariée" Huile sur toile

    Après avoir dansé avec Maria BALAN, retrouver Anujka (ou Anuica en roumain) MARAN est tout naturel. On reste à Uzdin, dans le Banat. Anuica (il me semble qu'elle aurait préféré qu'on l'appelle ainsi) est née en 1918, à la fin de la grande guerre. C'est elle qui a fondé le groupe de femmes peintres d'Uzdin, vers 1961. C'est que, sous son fichu noué autour de sa tête et ses yeux rieurs, elle paraît avoir un sacré caractère. C'est sur toile qu'Anuica a peint les coutumes roumaines. Elle a tout appris seule, tentant de faire des collages avec de la colle de menuisier, puis mélangeant du zinc blanc avec de la colle. Marija BALAN a été la première à rejoindre son groupe. Puis sont venues Mariora MOTOROZESKU, Sofija DOKLEAN, Anuca DOLAMEA. Et Kec FLORIKA, Steluca CARAN et Florika PUJA (ce blog va enquêter pour retrouver une de leurs représentations!). 

    "La jeune mariée" est donc un classique d'Anuica. Qu'en pense son mari? "Oh, pas grand' chose, dit Anuica: pourquoi te tracasser pour faire ces peintures, il me dit. Tu n'es pas comme les autres femmes qui se bornent à entretenir leur ménage".

    34. Et si j'parlais des filles?

     

    Ana ONCU: "Berger et moutons" (1972) Huile sur toile

    Avant de tirer le rideau sur ce bel épisode de peintures par les femmes, on n'a pas pu quitter la Voïvodine. Ana ONCU est née en 1932 au village de Lokve près d'Alibunar. Roumaine d'origine elle aussi, elle est partie vivre à... Uzdin. Qu'est-ce qu'elle ressemble à Anuica MARAN, vous verriez ça! Elle commence à peindre en 1969. Marijan BALAN est la soeur de son mari (chut! c'est un secret) et lui a appris comment on prépare une toile. Ses sujets favoris sont "les bergers, les champs, les costumes nationaux, les gardeuses d'oies au village, tout particulièrement au printemps". "Bergers et moutons" est donc un condensé de ses thèmes chéris. Avec l'argent de ses peintures, Ana aimerait payer des études à sa fille: "je désire que ma fille ait une autre vie que moi, ne soit pas une ménagère, ne doive pas travailler à la ferme. Je veux qu'elle ait de l'instruction, alors elle connaîtra une vie meilleure que la mienne". 

    Sous leur foulard, les femmes peintres du Banat sont des féministes!

    A bientôt, portez-vous bien,

    Cébizar Lémek

    cebizarlemek.eklablog.com

    PS: On sait bien dans ce blog qu'on n'est plus dans les années 1970, que nos chers peintres naïfs yougoslaves sont déjà presque tous partis dans la grande prairie. Mais laissez-nous faire "comme si".


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  • 33. Adam et Eve en trois façons

     

    "La fin du Paradis" par Ivan Generalic (1959), une huile sur verre de 72 sur 121cm, longtemps propriété de l'auteur

    Allez, on a choisi de réveiller ce blog, tout d'abord parce qu'une nouvelle génération d'artistes toque à la porte, et aussi parce que les jeunes artistes des années 1970, tels Stjepan Vecenaj ou Ana Bocak n'ont pas été encore cités. Mais pour l'heure, on a choisi trois versions sur le thème du couple de l'Eden. Vous pensiez y retrouver Ivan Vecenaj, ce "fada" des thèmes bibliques, auteur du "Paradis terrestre" et de "Eve n'en peut plus". Nada.

    On a choisi une composition étrange du "boss" Ivan Generalic, celui qui fonda l'école de peinture de Hlebine et eut une influence sur maints peintres retrouvés ici. Ce tableau a fait partie de l'exposition en 1960 à la Galerie d'Art Primitif, qui va surprendre par "sa fraîcheur d'inspiration et sa perfection technique insolite chez un peintre naïf, "paysan" qui plus est".

    Qu'y voit-on? L'Eden sous la neige, Adam moustachu tel un slave, qui tient son chien en laisse. Eve a la peau plus blanche, elle tient un chat contre elle. Les arbres sont froids, au fond se dessine encore la verdure du Paradis terrestre, auquel Adam et Eve tournent le dos.

    Ils se tiennent cependant la main, détail optimiste au tableau bien sombre.

    33. Adam et Eve en trois façons

     

    "Adam et Eve" par Josip Generalic (1970), huile sur verre de 75 sur 88cm qui fut propriété d'un Américain

    Après le père, le fils, Josip, dont on se demande comment il a réussi à se faire un nom à l'ombre d'Ivan. C'est d'abord en partant vers la ville en 1960, une fugue qui maintint en lui une nostalgie  "mêlée d'un rire subtil et d'une bonhomie burlesque". Avec son "Adam et Eve" de 1970, on est dans une oeuvre résolument moderne. Le Paradis est une île minuscule, parfaitement rectangulaire. L'arbre est celui de la science du bien et du mal, le serpent grotesque paraît bien inoffensif. La Bible traîne dans l'herbe. Adam-Robinson paraît bien serein dans cette belle verdure. Que sont ces formes dans le ciel et l'eau? Des comètes venues d'ailleurs? Le Paradis de la Podravina est accueillant en tous cas!

    33. Adam et Eve en trois façons

     

    "Adam et Eve" par Martin Mehkek (1968)

    Terminons cette petite promenade avec Martin Mehkek, né en 1936 au village de Novacka, près de Gola. C'est un paysan. A partir de 1954, il va commencer à peindre, sous l'oeil d'Ivan Vecenaj (le Monde est petit!). Son thème de prédilection, ce sont les Bohémiens, dont ce blog a montré plusieurs facettes, indiquant à quel point ce peuple de la route en Europe centrale faisait partie du quotidien du peuple des campagnes. En 1968, à 32 ans, Martin s'attaque au thème d'Adam et Eve. Oh, ici l'arbre du bien et du mal est représenté tel une grosse souche. Le serpent est inquiétant, qui voisine... avec un coq! Et ce sont des poires, non des pommes, qui sont suspendues. Le ciel est rouge, la Terre est glacée et froide. Adam semble se plaindre, mais paraît encore fort, et tient bien contre lui son Eve. Il y a de l'amour, non?

    cebizarlemek.eklablog.com


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