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26. Winter is coming
"La vache dans la cour de ferme" par Ivan Vecenaj (1975, huile sur verre, 40 cm sur 40 cm)
L'hiver est tombé sur la Podravina. Mais ce n'est pas l'hiver des tempêtes de neige, des vents glaciaux qui sifflent dans la forêt. Non, chez les peintres yougoslaves, la représentation de l'hiver est paisible. Quand le peintre prend son pinceau, la neige est déjà tombée. La fumée s'échappe des cheminées, les fenêtres des chaumières sont éclairées, les maisons des villages sont resserrées comme si elles se réchauffaient les unes les autres. A vrai dire, on aurait envie d'y être, dans ces hameaux de Lackovic par exemple isolés dans l'hiver blanc. Ivan Vecenaj (né en 1920 à Gola, voir le chapitre 8), illuminé notoire (par les épisodes bibliques), nous offre ci-dessus "le tableau typique de la vie rurale". On parle de tranquillité éternelle, même si les couleurs du ciel, tendant fortement sur le vert sombre à droite, interpellent quelque part, comme le manteau rouge de la vache et les arbustes orange ou pourpre. C'est bien signé Vecenaj, qui nous a mis un petit chat dans le grenier, et un seau suspendu qui resservira au printemps.
"Retour du marché", par Ivan Vecenaj en 1962 (huile sur verre, 50 cm x 63 cm)
Vecenaj est un fermier. Un véritable autodidacte. Il dit que ses premiers tableaux étaient grossiers et frustres (vers 1955). Il ne veut pas être associé au mouvement des peintres de Hlebine. Il dit qu'il n'y a rien de forcé dans ses peintures, qu'elles sont modestes, simples, purement paysannes, purement humaines: "on n'y voit ni la mer, ni des lacs, ni des parcs, mais simplement notre mode de vie à tous". Comme dans ce tableau de retour du marché. Nulle inquiétude chez le paysan ou son boeuf. Ils marchent tranquillement dans la neige, tandis que la nuit tombe doucement. La nature est amicale et les arbres semblent se pencher pour les saluer.
Ivan Vecenaj: "Nativité" (1970)
Clin d'oeil biblique, inévitable quand on évoque Ivan Vecenaj. Ici le cadre est assez misérable, avec les arbres morts, et le ciel rouge et vert en toile de fond. Mais la campagne est paisible, non? Quatre colombes voltigent autour de la mère et l'enfant. Bon, la mère paraît presque une grand-mère et on a peine à voir un nouveau-né chez cet enfant aux yeux fatigués. Le boeuf a des cornes superbes et le Christ a laissé sa couronne d'épines sur la croix. Le feu est presque éteint. Le détail le plus remarquable du tableau est le sommet de la tente de fortune, qui évoque le Kilimandjaro ou le Fuji-Yama.
Josip Generalic : "Goran à Hlébine" (1973, huile sur verre 56 x 80 cm)
Josip, c'est le fils d'Ivan. Ses parents rêvaient qu'il soit instituteur, il n'en fut rien. Il a 37 ans quand il peint Goran dans son berceau, tranquille avec sa "suce" et son chat-zèbre (remarquez les initiales "G G" sur la poussette). Josip admet qu'il a eu une enfance insouciante et heureuse, bien loin des années difficiles que traversèrent ses parents. Goran est donc le fils de Josip. Il dit d'ailleurs: "j'ai un jeune enfant et il est bon lui d'être en plein air, à l'extérieur, là où l'atmosphère est plus paisible". Dont acte. Les animaux de la ferme paraissent protéger l'enfant. Il est des leurs, c'est sûr.
Dragan Gazi: "Les chevaux s'amusent" (huile sur verre, 60 x 60 cm) 1975
Histoire de voisinage: Dragan est le voisin d'Ivan Generalic dans le village de Hlebine. Fermier lui aussi (né en 1930), il a finit par prendre le pinceau. What else? S'il a commencé à peindre dès 16 ans, il est resté fermier. Sur les photos des années 70, il porte des lunettes. Il a peint beaucoup d'aquarelles, mais ici c'est une huile sur verre, avec ces chevaux libres et fiers dans la plaine enneigée. Superbe.
"Saigner le porc" par Franjo Filipovic (huile sur verre, 50 x 70 cm - 1972)
Restons dans la Podravina, avec le voisin de Dragan et Ivan (né comme Dragan en 1930 à Hlébine, le monde est tout petit). Il aime peindre l'existence pénible des paysans. Saigner le porc est un classique de l'art naïf yougoslave, maintes fois représenté. Cet acte qui paraît brutal aux yeux des citadins, est le sacrifice de l'animal qui va nourrir la famille tout l'hiver, et précède la fête paysanne. Toutes les pièces classiques de l'art naïf yougoslaves sont à leur place: les arbres morts, les chaumières cossues et leur casquette de neige, l'église et le ciel aux couleurs vives (ici du rose à l'horizon). Il pense que les autres peintres ne font que copier ses oeuvres, et celles de ses voisins Ivan et Dragan. Ok boomer.
Ivan LACKOVIC : "les mâtines" (huile sur verre 30 x 35 cm) 1968
Ah, sur le thème de l'hiver, Ivan Lackovic est incontournable. Tant de ses tableaux se sont d'ailleurs simplement appelés "hiver", avec un soleil pâle au-dessus d'un village aux toits blancs et le panache de fumée qui s'échappe des cheminées. Ici, c'est un tout petit tableau. Les femmes s'en vont à la messe, au petit matin. Les deux arbres ordonnent l'équilibre du tableau. Chut! Tout est si calme.
Joze PETERNELJ: "les bûcherons" (huile sur verre, 50 x 70 cm) 1974
Partons en Slovénie, soit plus près de la frontière italienne. Joze-Mausar Peternelj 1927 à Jarcja Dolina près de Ziri. Il a travaillé comme cordonnier dans une fabrique de chaussures (et non une scierie). Il sent qu'il peint un monde qui disparaît. Quand il peint, il est conscient qu'il néglige sa famille. "Mes oeuvres rappellent les choses charmantes qui existaient autrefois dans la vie villageoise". Les personnages sont patauds, tels des hobbits, proches de ceux de Mijo Kovacic.
Mijo KOVACIC: "Hiver" (huile sur verre) 1968
No comment!
Mihal POVOLNI; "l'abattage du porc" (huile sur toile) 1971
Terminons notre périple hivernal par un détour en Serbie, peu visitée dans ce blog. Ici on peint plus sur toile que sur verre. Le thème est le même que celui choisi par Franjo FILIPOVIC. Mihal est né en 1935 dans le village de Padina près de Belgrade. C'est un fermier d'origine slovaque, qui peint l'hiver lorsqu'il en a plus le temps. Il décrit le tableau: "c'est une sorte de réjouissance pour tout le village. Les voisins viennent aider à abattre l'animal, à le nettoyer, et puis tout le monde prend part au repas. Pendant qu'on nettoie le porc, les gens n'ont qu'une idée en tête: la viande".
Ah, nos peintres fermiers ne sont pas tous des poètes...
Winter is coming...
"Beaucoup de gens disent: ah, l'hiver est la saison où toutes choses s'apaisent, où toutes choses meurent. Ce n'est pas ainsi; l'hiver est certainement la saison où l'homme s'apaise, où les sentiers sont calmes, où l'on médite sur toutes choses, non pas d'un esprit pessimiste, mais humainement. Même les journées sombres ne sont pas toutes aussi sombres. Aux jours les plus sombres, vous découvrez toujours un rayon de bonheur, d'espérance, de lumière. Voilà pourquoi j'ai peint l'hiver comme je l'ai fait". Ivan Lackovic, peintre mélancolique et un peu poète aussi.
Cebizar Lemek, décembre 2019
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Commentaires
Bonsoir,
quelle chance! En même temps vous êtes près de l'Italie et les Italiens, avec les Allemands, ont acheté beaucoup de peintures sur verre dans les années 1970. La valeur, aussi bien n'est pas élevée, tout dépend de la signature. Le marché des naïfs peintres sur verre est tellement restreint aujourd'hui. Merci de votre passage sur ce blog,
CL
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bonjour,
fantastique Ivan Lackovic ! dont je possède depuis au moins 30 ans des reproductions sur le thème des saisons.
Le temps ayant fait son oeuvre... j'aimerais bien les remplacer. Mais où en trouver ????
Merci !
Bonjour,
merci d'avoir survolé mon petit blog. A vrai dire, je suis comme vous: à la fin des années 70, les posters et cartes postales d'art naïf yougoslave étaient nombreux dans les magasins d'art, grands magasins et carteries. C'étaient souvent des éditions italiennes ou allemandes. Alors, complètement conquis, j'en ai accroché un peu partout sur les murs de mon appartement. Les années ont passé, les posters ont vieilli. Et depuis 30 ans, on ne trouve pratiquement plus ces reproductions, qui étaient souvent réussies car elles représentaient des agrandissements des tableaux d'huile sur verre souvent de petite dimension.
Je n'ai pas souvent vu de véritables peintures sur verre des balkans. J'ai trouvé quelques tableaux roumains, mais pas sur verre. La France n'est pas un pays friand de cet art naïf. Les Italiens, les Allemands et les Américains ont été les meilleurs clients.
Nostalgique de ces tableaux, j'ai au fil des ans trouvé quelques livres des années 70. On les voit aussi en vente sur internet, à des prix un peu élévés. Ces livres et ma petite collection de cartes postales m'ont aidé à faire vivre ce blog.
Lackovic, Kovacic, Stefanek sont mes préférés.
Comme vous, si un jour je trouve une reproduction de bonne qualité (je ne parle pas d'un tableau!), très probable que je l'achèterai!
Cordialement,
j en ai trouv" un sur un marché a nice,il est aussi beau que ceux sur les photos,je connaissais pas cette technique et le forrain me dit que c était peint sur une feuille se papier ,comme il y avait un verre devant je pensais a une photo numerique,j ai eu la chance de tomber sur un expert qui tombait par la qui m as dit ce que c était. il fait 35x 25 et en enlevant le cadre et le papier derriere il avait raison .je me demande sa valeur car il est signé et annee 1983