• 28. Mariage avec les naïfs Haïtiens

    28. Mariage avec les naïfs Haïtiens

    1/2 - Marioara Motorozesku "Nouveaux mariés", huile sur toile 1964

    28. Mariage avec les naïfs Haïtiens

    2/2 - Fritzner Alphonse, huile sur toile 49 x 39 cm

    L'autre jour, sur la froide terrasse d'un salon de thé  fermé de la gare Montparnasse, livrée aux pigeons et aux voyageurs en quête de confinement (Covid19), Cébizar et Nouba ont échangé quelques mots avec un couple d'alertes retraités rentrant d'Haïti, belle île meurtrie des Antilles. Bientôt la dame  en vint à évoquer la richesse culturelle méconnue des haïtiens, littéraire, mais aussi artistique. Le monsieur, qui portait une casquette, nous dit: "les peintres naïfs haïtiens sont souvent des paysans". Vint immédiatement à Nouba l'idée de tenter de faire un parallèle entre 9 peintures issues du joli livre "Mariages dans la peinture haïtienne" (2005) et 9 tableaux de nos chers naïfs yougoslaves.

    Alors, on commence? Ci dessus (1/2), Mariora Motorojescu (appellation roumaine de son nom), née en 1928, le fichu sur la tête telle une campagnarde russe, vit à Uzdin près de Belgrade. C'est une paysanne, elle a représenté son mariage en costume national. "A mon époque les filles se mariaient vers 16 ans. Le mari,c'était le choix des parents". En dessous (2/2), Fritzner Alphonse: les mariés ont aussi revêtu les costumes classiques du mariage. Ente les deux tableaux, similitude des expressions: visages sérieux, même bouche pincée. L'instant est solennel! Fritzner est né en 1936 à Port-au-Prince et fut longtemps tanneur de cuir. Son thème de prédilection, ce sont les femmes créoles. Il aurait peint une grande fresque à Miami, l'avez-vous vue?

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     3/4 - Taran Steluca : "Après-midi dominical", huile sur toile 1972

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    4/4 - Valmidor, acrylique sur toile (60 x 50 cm)

    Jour de mariage toujours chez Taran Steluca (3/4), d'origine roumaine elle aussi comme Mariora, un peu plus jeune (née en 1940), même fichu sur la tête mais un air moins revêche. Toutes les deux sont membres du "groupe d'Uzdin", comme il y eut celui de Hlebine. Même envie chez Taran de peindre les coutumes qui disparaissent, comme ces mariages en costume. "Ce sont nos tableaux qui les maintiennent en vie", dit-elle. Avez-vous remarqué la pompe à eau?

    En-dessous, une toile de Valdimor (pas celui d'Harry Potter!, me souffle-t-on), un artiste, une artiste? Les naïfs en Haïti sont surtout des hommes. Les invités du mariage sont positionnés comme pour une photo, la mariée sourit un peu, plutôt métisse et le marié a l'air plus jeune. Sur les deux tableaux, les personnages sont représentés de face ou de profil, jamais de trois-quarts. La représentation naïve des fenêtres ou vitraux est assez similaire. On s'habille bien dans les Caraïbes, non? Bien sapés, vraiment.

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    5/6 - Dragan Gazi "Devant l'église", huile sur verre 1969

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    6/6 - Jean-René Jules. Acrylique sur toile (50 x 61 cm)

    Ah, on retrouve Dragan Gazi (5/6) devant l'église (ce n'est pas une histoire de Toto). Il aime poser son chevalet dehors. Dragan est un classique qui a coché toutes les cases: né et a vécu à Hlebine, paysan et peintre sur verre, aquarelliste aussi. C'est l'automne (on voit des chanterelles). Le prêtre dit la messe sur la place du village, à gauche s'esquisse un bal avec violon et contrebasse. En cachette, deux amoureux s'embrassent derrière la vigne sous le regard du gamin perché dans l'arbre. Le bedeau sonne les cloches, et l'on entrevoit deux têtes couronnées dans l'église. La composition du tableau est magistrale.

    En-dessous, Jean-René Jules représente aussi la place du village, devant l'église (6/6). Un photographe immortalise l'instant du mariage. Plus à gauche des jeunes entament une danse. Plus à l'écart, deux jeunes se parlent. Sont-ils amoureux? Le prêtre attend sur le  parvis de l'église: est-ce un enterrement qui va succéder au mariage? C'est troublant. Quatre enfants semblent porter un  petit cercueil et une petite foule descend des collines, toujours joliment représentées chez les naïfs haïtiens, à l'instar de Jean Baptiste Chéry. Jean-René Jules, malheureusement, je ne sais rien de toi. Mais ton cousin imaginé en Croatie se prénomme Dragan.

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    7/8 - Josip Generalic "Femmes de pêcheurs", huile sur toile 1971

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    8/8 - Gérard Valcin, huile sur toile de 1987 (61 x 50 cm)

    Allons faire un tour sur la rivière (7/8). C'est certainement la Drave chez Josip Generalic, une des stars de ce blog, un des rares à oser pareille scène (son père ne l'aurait pas fait, mais Josip a humé l'air du flower power). La pêcheuse au centre a l'air de défier celui qui la regarde avec un mélange de crainte et défiance. Sont-ce de grosses carpes? Pas des silures quand même... Remarquez (ou pas) la marque blanche de leur culotte sur leur peau.

    Chez Gérard Valcin (8/8), trois sirènes se sont assises sur un rocher, accompagnées d'un officier lui aussi sirène (ben si). Cinq gros poissons tournoient autour d'eux, en une composition symétrique. Gérard est né en 1923 ou 1925 dans un milieu misérable (pléonasme en Haïti?), pour une longue vie.C'est en 1947 que sa carrière démarre lorsqu'il apporte un de ses tableaux au centre d'art de Port-au-Prince, dirigé par Dwight Peters qui va aider à faire connaître l'art naïf haïtien au monde entier. Ce sera fait dans les années 60. Il en fut de même chez les naïfs yougoslaves. Gérard est un spécialiste des représentations du culte vaudou et des scènes traditionnelles.

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    9/10 - Stepa Sirkovic: "Mariage", huile sur toile 1970

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    10/10 - Wilbert Laurent, acrylique sur toile de 1999 (51 x 41 cm)

    Mariage festif en calèche avec Stepa Sirkovic (born 1932), un Serbe de Drlupi au pied du mont Kosmaj. Son histoire est touchante. Stepa a passé sa vie cloué au lit. Il dit que son inspiration, c'est "attendre" (une jeune fille). Son thème: "les choses dont on rêve dans la vie". Aussi, lorsqu'il peint une scène de mariage (9/10), il avoue: "C'est à la fois un mariage que j'ai vu et auquel j'ai assisté. Et d'autre part aussi quelque chose que j'ai imaginé. Ce qu'on n'a pas vécu soi-même, on peut toujours le fixer sur la toile pour voir à quoi cela ressemble". Et il conclut: "Il faut essayer de vivre en homme".

    Wilbert Laurent est originaire de Lafond, un coin de campagne près de Jacmel où les paysans sont devenus peintres, donnant naissance à une école, comme à Hlebine. Sur la signature de son tableau (10/10), l'indication du lieu du mariage: "Jacmel". Ici les invités arrivent à cheval des collines luxuriantes. Tous les convives du premier plan, mariés inclus, ne regardent pas l'objectif du photographe accroupi tout à gauche, mais l'oeil du peintre. Etonnant, non?

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    11/12 - Eugen Buktenica: "Les insulaires", huile sur lesonite 1967

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    12/12 - P. Sylvince: acrylique sur toile 1998 (39 x 54 cm)

    Ici, le jumelage des deux tableaux ne tient qu'à la présence conjointe des chevaux marchant au pas. En haut (11/12), on embarque pour l'île de Solta sur l'Adriatique, au village de Grohote où Eugen Buktenica (né en 1914) a passé sa vie. Il est décrit comme "fermier, pêcheur et individualiste". "Déporté durant la guerre, il a survécu après avoir contracté le typhus" (incroyable la litanie des malheurs vécus par les peintres paysans nés durant le premier quart du XXème siècle...). En 1946, des touristes polonais arrivèrent sur l'île et incitèrent les insulaires à peindre. Ainsi, Eugen le rustre, le "célibataire privé de femme" "empoigna une brosse en poils de chèvre et prépara son matériel, de la chaux mélangée à la colle" (c'est ça la lésonite?). Il a 61 ans quand il peint ces insulaires en binôme sur des ânes.

    Quant à P. Sylvince, pauvres de nous, nous ne savons rien de lui. Sur sa toile (12/12), la cohorte des convives du mariage serpente à cheval depuis l'église sur la colline (le prêtre est encore resté sur le parvis). Tout le monde paraît sage et recueilli, la mariée tout en blanc. Le marié, lui, a tout l'air d'un personnage échappé d'un tableau de Diego Rivera. Le sigle JHS, que l'on retrouve inscrit deux fois, c'est l'abréviation imparfaite de Jésus (là-bas dans le ciel).

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     13/14 - Ilija Bosilj - "Procession" huile sur lesonite 196428. Mariage avec les naïfs Haïtiens

    14/14 - Alexandre Grégoire, huile sur toile 1997 (41 x 31 cm)

    On va donner le nom de "Procession" à ce jumelage assez improbable. En haut (13/14), le vieux cultivateur Ilija Bosilj-Basicevic de Sid en Voïvodine: il est né en 1895 et n'a commencé à peindre qu'à... 63 ans, même pas 10 ans avant son trépas. Qui a dit "a-t-il bien fait de prendre le pinceau?". En effet, on voit que "sans expérience artistique ni préparation, il s'est mis tout à coup à dessiner des peintures très spéciales qui sortent de l'art courant naïf". Son fils dit: "Il applique directement la peinture du tube et n'emploie pas de palette. Il ne mélange pas les coloris sauf dans de rares cas". Les personnages de la procession évoqueraient-ils James Ensor dans "les masques singuliers" par exemple, ou j'écris là une grosse bêtise?(réponse 2).

    En dessous (14/14), voici une petite huile d'Alexandre Grégoire, né à Jacmel en 1922 (ce blog ne donne presque jamais d'indication sur la mort des peintres naïfs, réputés immortels), il joua du saxophone dans l'armée et ce n'est qu'en 1968 qu'il finit pas rejoindre le centre d'art de Port-au-Prince. Sa "procession" autour des mariés au sortir de l'église est bien sage et la composition quasiment symétrique. La mariée tient une ombrelle plutôt qu'un poisson, le marié est un pas derrière elle. Prudent. Il a bien raison, à présent que le voici marié.

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    15/16 - Ilija Bosilj: "Orme" Huile sur lésonite 1967

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    16/16 - Jean Tikôk, huile sur toile de 1998 (40 x 30 cm)

    Qui l'eût dit, qui l'eût cru?"Ilija Bosilj, le sexagénaire de Sid, venu du XIXème siècle, nous revient pour une autre huile sur "lésonite" (qu'est-ce donc, un panneau de bois?), avec des êtres et animaux fantasmabuleux: au choix un coq bicéphale, un hippocampe terrestre, un serpent-coq (15/16).

    En face, le méconnu (chez nous) Jean Tikôk, inspiré par l'Afrique, célèbre l'union de M et Mme Girafe (et son voile éthéré) sous les vivats de léopards embarqués (16/16). Sont-ce des lions tapis dans la savane? Le maître de séance est le hibou lettré et chapeauté, monté sur l'estrade avec le code civil. Jean Tikôk un peu original et farfelu, mais bien moins à l'ouest qu'Ilija qui a placé la barre très haut.

    28. Mariage avec les naïfs Haïtiens

    17/18 - Janko Brasic: "Mariage" 1961 Huile sur toile

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    18/18 - Jean Baptiste Jean "Mariage gaté" huile sur toile 1995 

    Finissons en beauté ce jeu des jumelages entre deux contrées si éloignées l'une de l'autre, mais si proches par leur rapport à la nature, leur retranscription des petits gestes du quotidien, par leur désir de représenter leur monde idéalisé, respectueux du passé. En haut (17/18), mariage serbe par Janko Brasic d'Oparic, souvent habitué à peindre des scènes de bataille contre les Turcs, où les Serbes gagnent à chaque fois. La mariée est vêtue très années 1960, avec une jupe assez courte et élégante. Son mari est un peu plus petit. Les musiciens commencent à chauffer l'ambiance.

    Même scène virant à la liesse chez Jean Baptiste Jean en Haïti. Né en 1953 au Cap Haïtien, il rejoint le centre d'art de Port-au-Prince en 1971. Enfin un tableau où les Haïtiens, réputés danseurs et rieurs, commencent à se lâcher. On tape des mains, on tombe par terre, même la femme enceinte (aucun rapport avec le marié, si?) et ses trois rejetons vient se plonger dans la joie collective qui grandit. Au second plan sous l'arbre, la personne en bleu joue-t-elle de la musique ou vend-t-elle du poisson? (réponse 1?).

    "Cé anvi baille ki baille"

    ("C'est l'envie de donner qui donne", soit on donne aux autres car on a envie de donner et d'être généreux. Proverbe haïtien)

    A bientôt, Cébizar Lémek

     

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    caro
    Mercredi 21 Octobre 2020 à 14:31

    Bonjour, j'ai regardé et lu attentivement votre blog et je l'ai trouvé chouette.Je suis moi même à la recherche d'un peintre qui s'appellerait BLASNAVSKI ou BLASNAUSKI. J'ai cherché à la Blibliothèque FORNEY à PARIS mais je n'ai rien trouvé.Je pensait qu'il faisait parti du courant des naïfs yougoslaves mais je crois que non.Peut-être auriez-vous une piste?J'ai acheté il y a 5 ans un tableau de lui, j'ai vu que d'autres tableaux circulent un peu mais pas moyen d'avoir de Biographie.Il n'a pas une grande côte mais il mérite mieux car c'est vraiment très joli, du même style que les cartes qui vous ont attirées.

      • Mercredi 21 Octobre 2020 à 17:30

        Bonjour!

        merci pour votre gentil commentaire sur ce blog. J'ai trouvé un peintre russe sur internet, nommé Cermic Blasnauski. Une photo d'un tableau vendu dans une galerie, dont le titre est "village russe", peint semble-t-il en 1973. Un vrai tableau naïf qui aurait eu sa place dans mon blog! Si c'est un tableau de lui que vous avez acheté, vous avez de la chance: je trouve que les tableaux naïfs étrangers sont difficiles à trouver en France, surtout d'Europe de l'est (ils sont prisés par les Allemands et les Italiens, dit-on).

        Bien cordialement,

        CK

    2
    Gérard
    Samedi 24 Octobre 2020 à 09:34

    Bonjour ,Je fréquente votre blog depuis des années .J'ai récemment créé un groupe Facebook sur l'art naïf .Fort des 700 membres inscrits je prends un grand plaisir à faire découvrir cet art du bonheur au plus grand nombre.Ma surprise a été de voir beaucoup de peintres naïfs s’inscrire. J'ai pris l'habitude le weekend de faire des spéciales comme l'autre jour un "Spécial "Cartes postales naïves".Ma question est me donniez-vous l'autorisation de faire un spécial "Aimez-vous la peinture naïve yougoslave" à partir de votre blog ? Merci de votre réponse .Voici le lien de mon groupe "Art Naïf Muséum  https://www.facebook.com/groups/artnaifmuseum

      • Samedi 24 Octobre 2020 à 11:14

        Bonjour Gérard,

        quelle surprise la découverte de votre site! J'y ai retrouvé Monic Michèle, à qui nous avons rendu visite (avec ma femme) à Montélimar il y deux étés. Vous avez des inscrits de toute l'Europe! J'aime notamment des peintures naïves d'Allemagne du nord ou du Danemark. Vous avez dû vous apercevoir que mon blog dort un peu (j'ai un peu fait le tour de ce que je connaissais sur les Yougoslaves). Bien entendu, vous avez mon accord pour un spécial "art naïf yougoslave". Je suis heureux que mon blog vous ait plu. Je ne suis pas sur facebook. Il faut s'y inscrire pour intégrer votre communauté de fondus de l'art naïf?

        Je vais retourner sur votre site, et sans retard! Bon week-end!

        Claude Kervern

      • Samedi 31 Octobre 2020 à 09:47

        Bonjour Gérard,

        j'ai franchi le pas, me suis créé un compte facebook et viens de demander à intégrer l'art naïf Museum.

        Je pense devenir un lecteur régulier, surtout en ces temps gris de confinement!

        Cordialement,

        Claude Kervern

    3
    Gérard
    Samedi 14 Novembre 2020 à 10:17

    Ravi de vous compter dans notre groupe ! https://www.facebook.com/groups/artnaifmuseum. J'ai la date de mon Spécial Art Naïf Yougoslave sur Facebook ça sera 21 novembre ,1 mois pile avant l'hiver ! D'ici là bon vent et vive l'art naïf !

      • Samedi 14 Novembre 2020 à 11:42

        Content aussi d'avoir rejoint la sympathique communauté et de découvrir chaque jour de nouveaux artistes. A bientôt!

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