• 16. Love, love, love...

     

    Petar TOPLJAK: "Amoureux" 1972 Huile sur toile (galerie de Svetozarevo)

    On s'est dit: et sur le thème de l'amour, qu'est-ce que proposent nos fameux naïfs, qui s'épanchent sur les semailles et les moissons, pleurent sur les sécheresses et les inondations? Il y a bien quelques uns qui nous peignent les débordements lors des fêtes paysannes. Mais qu'en est-il de l'amour courtois du Moyen-Age, de l'amour bucolique, romantique, éclatant ou poétique?

    He bien, vous ne trouverez pratiquement rien: l'amour se trouve dans le mariage, c'est très paysan (dans tous les pays, oui, oui), mais Petar TOPLJAK , né en 1948 à Djurdjevac, Podravina (where else?) a peint un tableau emblématique.

    Il va nous raconter qu'il n'a passé que 5 ans à l'école (histoire connue dans ce blog). En plus, en 1964, il va trouver Ivan Generalic pour apprendre la peinture sur verre et toile. C'est un fermier-vigneron. Il ne nous apprendra pas grand'chose, sinon une coutume croate : "  Avant le mariage, nous allions tous chez la future mariée pour demander sa main. Le fiancé, lui, portait sous le bras un petit cochon de lait, et sa mère se chargeait d'un panier contenant du lait suri et de la crême douce, et son père arrivait avec un tonneau et..."

    Ivan Generalic a maints talents mais ne représente pas à notre connaissance les émois adolescents.  Mais Petar, sur ce sujet, est capable de toucher les étoiles, comme avec cette peinture des amoureux dans l'hiver serein. Il emprunte un thème peu usité, alors que les mariages sont communément représentés, mais moins touchants.

    16. Love, love, love...

     

    Matija SKURJENI : "Amours de gitans" - huile sur toile de 1966

    Attention! Ici on n'est pas du tout dans la Podravina. D'ailleurs, Matija SKURJENI ( né en 1898 à Veternica, près de Zlatar, et qui vécut ensuite près de Zagreb) est clair: "Je vois ces gens de la vallée de la Drave. Je vois leur école et je ne voudrais pas peindre comme ils font, comme l'école de Hlébine. Je préfère agir à ma guise."

    Matija est né au XIXème siècle (!), déjà on est scotché. Ensuite il a une enfance très dure (on n'entre pas dans les détails, après la mort de son père bûcheron). Il paraît avoir une approche plus intellectuelle de la peinture que nos peintres-paysans (lui a travaillé aux chemins de fer). Et, en, 1966, il  peint ces "Amours de gitans". Et nous, on fond.

    Cébizar Lémek (cebizarlek.eklablog.com)


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  • 15. Cartes postales d'Ivan Generalic

     

    Ivan Generalic: "Tziganes" ("Zigeuner / Gipsies") - Carte postale allemande

    Ivan Generalic, dans ce blog on l'appelle "le boss". Il fait partie des trois mousquetaires de Hlebine (cf Chapitre 3 du blog) qui ont lancé en 1931 l'art naïf yougoslave. Par la diversité de ses thèmes et la maîtrise des plans, par le choix de sujets étonnants (non représentés ici, ce sera pour une autre fois: "Mona Lisa de Hlebine", "Le taureau qui louche"...) qui le font se hisser au-dessus des sujets classiques, Ivan Generalic s'est imposé comme le chef de file de nos chers naïfs. Ci-dessus, les Tziganes, un thème souvent représenté, tant cette communauté se fond dans le paysage de l'Europe Centrale et comme toujours intrigue. La femme donne le sein. Que tient dans sa main l'enfant nu? Un canard passe à la broche, la campagne en arrière-plan est superbe.

    15. Cartes postales d'Ivan Generalic

     Ivan Generalic: "Le cheval-licorne" - Huile sur verre de 1961 (76 x 145 cm). Propriété de l'artiste dans les années 70. Carte postale belge de 1982

    Ci-dessus, un classique d'Ivan: le cheval-licorne est une bête légendaire de la Podravina. Il apparaîtrait dans les clairières. Le veinard qui rencontre l'animal verrait ses voeux s'exaucer et deviendrait riche! Comme dans les contes, celui qui néglige ce présage verra le malheur fondre sur lui. "C'est ainsi que des jeunes filles ont épousé le garçon dont elles rêvaient, des malades ont guéri, des vieillards retrouvé leur jeunesse". Allégorie magique déjà en vogue au Moyen-Age.

    15. Cartes postales d'Ivan Generalic

     Ivan Generalic: 1973 (titre non trouvé, alors on va dire "Balade hivernale"). Carte postale belge de 1982

    Ivan dit: "A vrai dire, je n'ai pas été très bien reçu comme peintre dans mon propre village. Les gens se moquaient de moi parce qu'au début je ne savais pas comment faire pour bien peindre les gens. Leur tête leur donnaient en quelque sorte l'air d'imbéciles. Ils avaient des mains énormes et des pieds tout petits, et les maisons paraissaient sur le point de s'écrouler. Aussi, les villageois ne se privaient pas pour se moquer de moi et traitaient ma peinture de plaisanterie ou de stupidité"

    15. Cartes postales d'Ivan Generalic

     

    Ivan Generalic: carte postale belge  de 1982 sans commentaire (un peu d'efforts les belges!). On va l'appeler "Winter scene / Paysage d'hiver"

    Ivan conclut: "Durant l'hiver 1936, la neige s'était accumulée sur les champs et dans les basses-cours. Partout régnaient la paix et la tranquillité. Et c'est cela que je préfère pour ma peinture."

    Laissons Ivan retourner peintre un taureau dans un champ. Voilà. Maintenant on peut vous dire en confidence ce qu'il pense de sa femme: "Je ne signifie pas grand' chose pour elle. Je suis comme un boulet qu'elle traîne. Vous savez, j'ai commencé à lui échapper à ma manière, comme le fait chaque mari. Et parfois il me vient toutes sortes d'idées bizarres, des sottises. Je m'emporte, vous comprenez. Quelquefois je me mets simplement à courir, ou bien je poursuis une balle dans la cour, ou bien je rassemble les gosses et alors elle hurle après moi: "tu es pire que ces gosses!". Alors je discute avec elle pour savoir si j'ai marqué un but ou pas. Et elle crie après moi. Quand je suis avec les gamins, c'est alors que je suis moi-même. Elle dit: "tu es un vieux bonhomme et tu te conduis si sottement" (...) Elle désire qu'il y ait en moi quelque chose qui lui appartienne à elle. Elle est une auxiliaire pour moi, mais elle ne sait pas comment on peint; pourtant, elle critique comme cinq!"

    Du grabuge dans la Podravina!

    Cébizar Lémek (cebizarlemek.eklablog.com)


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  • 14. La déesse des marais de Tomislav Petranovic

     

    Tomislav Petranovic: "Eau folle", huile sur toile de 1973

    Retournons sur les bords de la Drave, ses marais et ses légendes. Tomislav Petranovic a peint une toile intitulée "Printemps", représentant une "femme qui vit quelque part dans les marais". Tomislav dit: "Je la montre portant des fleurs, peut-être est-ce notre Vesna, la Slave ancienne, déesse du printemps. Je voulais montrer le printemps à ma manière, comme si une femme arrivait des marais, apportant l'haleine des fleurs".

    "Eau folle" ci-dessus évoque un thème proche, et fait penser aux "Pêcheuses" de Josip Generalic. Tomislav dit: "C'est la région de la vallée de la Save. Il y a là la rivière, des marais, de vieilles souches d'arbres, des paysans aux poings formidables, des paysans qui, au dire de certaines personnes paraissent un peu grotesques, bien que je ne les caricature nullement. Ils sont vigoureux, trapus, des colosses comme tous les paysans slovènes des environs".

    Tomislav-Rvat Petranovic naît en 1934 dans le village de Prvca près de Nova Gradiska (dans la Podravina croate - encore un!)' et n'en bougera pas beaucoup, tentant un peu l'expérience de la ville. Instituteur, il attendra 1965 pour se mettre à peindre vraiment, autant sur toile que sur verre.

    14. La déesse des marais de Tomislav Petranovic

     

    Tomislav Petranovic: "Le retour", huile sur toile de 1972

    Tomislav ne paraît pas être dans le premier cercle des naïfs yougoslaves. Il n'aime d'ailleurs pas ce qualificatif. Il aime bien dire qu'il n'a jamais pu s'inscrire à l'Académie des Arts parce qu'il n'avait pas de relations, en un mot "pas la carte". Heureusement, en faisant le soir un petit boulot de garçon de café dans un bar où les frères Pintaric jouaient de la musique, il va rencontrer Josip Pintaric, déjà peintre, qui va l'initier et deviendra son ami à Nova Gradiska.

    Tomislav a été marqué par la guerre durant son enfance. Son père était garde de chemin de fer et la famille habitait une maison isolée au bord de la voie ferrée. Les Allemands conduisaient les paysans-résistants dans un endroit désert et les exécutaient près de la maison. Tomislav dit: "Nous nous mettions, mon père, ma mère et moi à genoux et nous priions pour le repos de leur âme. Je me souviens de ces wagons chargés de prisonniers dont un était occupé par des juifs grecs. Le train s'arrêta à côté de notre maison parce que les partisans avaient fait sauter la voie un peu plus loin. Les prisonniers affamés et assoiffés demandaient de l'aide, ma mère et moi nous rampions jusqu'à eux, nous efforçant de ne pas être vus et nous leur offrions de l'eau car nous n'avions pas de vivres à leur donner".

    Difficile de ne pas évoquer la guerre pour ces peintres nés avant 1940. Tomislav conclut en disant que ses compatriotes sont simplement doués pour l'art, et si l'art naïf y a trouvé niche, c'est que la société moderne a négligé la nature et que les naïfs, eux, savent la contempler et lui sont redevables des trésors de motifs qu'elle leur offre.

    14. La déesse des marais de Tomislav Petranovic

     

    Cébizar Lémek (cebizarlemek.eklablog.com)

    A suivre: le pote de Tomislav, Josip Pintaric!


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  • 13. Calamités en Podravina

    Vilma DORESIC: Sécheresse estivale (1972) - huile sur verre

    Et voici Vilma, élève dit-on de Tereza Posavec-Dolenec, mais aussi aidée par Ivan Generalic (sacré lui, il est incontournable!) puisque, originaire de Pakrac en Croatie(née en 1936), elle a la bonne idée de s'installer à Hlebine. Dans ce village, il semble qu'on distribue à chacun un pinceau et des tubes de couleurs pour voir ce que cela va donner! Vilma dit: "Il ne faut pas utiliser les peintures telles qu'elles sortent du tube, vous savez, il est nécessaire de les mélanger". Cela montre à quel point ces peintres-paysans sont des autodidactes, à la technique sans doute frustre certes, mais qui aboutit à une toile telle que la "sécheresse estivale", car les naïfs aiment à représenter la vie de tous les jours, et Vilma se souvient d'une sécheresse terrible connue juste après la guerre: "nous avons mangé du pain de maïs toute l'année suivante. Car, à un moment donné, au 8ème mois, la pluie a recommencé à tomber de sorte que nous avons eu une récolte de maïs, pas de blé. Nous avions terriblement envie d'avoir à manger, mais il n'y avait rien. Nous étions nombreux chez nous, onze enfants".

    Vilma dit: "Sur ce tableau, l'année a été très sèche. Le blé est clairsemé, des épis s'affaissent desséchés, il n'y a pas d'eau. Les gens souffrent de la sécheresse, les troupeaux ont soif et le chien est maigre et altéré. Un homme est en prières devant le champ de blé. Il a saisi un épi et celui-ci n'a pas de grain. L'homme ne sait s'il pourra ou non moissonner quelque chose. Près de la maison, une grand'mère se désole. Un enfant la regarde: il a faim et soif et il supplie qu'on lui donne du pain et de l'eau, mais il n'y en a pas. La vieille femme tient son chapelet en mains et elle prie. Il fait si chaud et sec, le ciel est écarlate". 

    Enfin, Vilma conclut: "Mes peintures sont différentes de celles des hommes. Le coloris est plus doux dans mes tableaux et, lorsque je représente un homme, il paraît moins rude. Je ne lui mets pas des pantalons rapiécés comme le font les hommes. C'est ce que les gens disent".

    13. Calamités en Podravina

     

    Ivan LACKOVIC CROATA: "Poplava" ("Inondation") 1963

    Après la sécheresse, voici les inondations, fréquentes dans la vallée de la Drave. Les couleurs sont inhabituelles, comme si le fleuve charriait de la boue. Ces teintes jaunâtres/verdâtres ajoutent de la langueur chère à Lackovic. Que trimbale exactement le monsieur au chapeau devant lui?

    13. Calamités en Podravina

    Ivan GENERALIC "Inondation" (1964). Huile sur verre

    Un an après Lackovic, Ivan Generalic ("le boss' de Hlebine") s'y met aussi. Sur son tableau, les femmes n'ont pas peur. Diable, elles ont du caractère! (voir au chapitre 15 ce qu'il dit de sa femme!)

     13. Calamités en Podravina

     Mijo KOVACIC: "L'inondation" 1972: huile sur verre (300 x 500 mm)

    Et pour finir, Mijo, notre chouchou. Cette fois nous sommes dans les marais, avec ses personnages rustauds. L'un chipe des oeufs dans le creux d'une souche, chien mouillé et oiseaux faméliques se disputent une carcasse. Les arbres sont fantasmagoriques. C'est beau (zoomez!)...

    Cébizar Lémek (cebizarlemek.eklablog.com)

    Vilma, après Tereza, vient conforter le petit groupe de femmes peintres yougoslaves. Nous allons continuer à les mettre en lumière. Nous ne sommes pas au festival de BD d'angoulême, bon sang!. Entre nous, ce blog est fier (et heureux) d'avoir eu récemment la visite de l'artiste Monic-Michèle, habituée des rencontres d'art naïf de Verneuil-sur-Avre.


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